Apolline Menut d'AXA IM commente les élections européennes
« Les élections européennes influenceront les politiques nationales et ouvriront la voie aux plus hautes fonctions européennes »
Par Apolline Menut, économiste Eurozone chez AXA Investment Managers
Les élections européennes sont particulièrement importantes cette année car elles auront probablement des conséquences politiques au niveau national, en particulier en Italie, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni.
• En Italie, les élections européennes pourraient modifier l'équilibre du pouvoir entre les deux partis de la coalition, 5SM (Mouvement 5 étoiles) et Lega, ce qui pourrait conduire à un changement de gouvernement. Les dernières intentions de vote indiquent que Lega est la formation politique la plus forte avec près de 31%, suivie par 5SM (23%) et le Parti démocrate (PD, 22%). Forza Italia (9%) et Brothers of Italy (Frères d’Italie) (5%) placent le centre droit très près de 45%, c'est-à-dire légèrement au-dessus du seuil pour une majorité au Parlement. Nous continuons de croire que Matteo Salvini aura peu d'intérêt à perturber la coalition, d'autant plus qu'il préférerait probablement partager les responsabilités des négociations budgétaires délicates de 2020 avec 5SM, plutôt que d'en être l’unique responsable. Pourtant, nous pensons que Lega pourrait faire pression pour un remaniement interne du gouvernement.
Dans le cas où Lega déjouerait les sondages et remporterait plus de 35% des voix, M. Salvini pourrait alors décider de mettre fin au gouvernement de coalition. Dans ce cas, tout reposerait entre les mains du Président Mattarella, qui déciderait sur la base du résultat de mars 2018. Il demanderait alors très probablement à Luigi Di Maio d'essayer de former un nouveau gouvernement. Sa seule option serait de regarder à gauche, mais il est difficile d’imaginer PD et 5SM s’allier à ce stade, malgré des similitudes idéologiques certaines. De plus, il n'est pas certain qu'ils auraient le nombre de voix nécessaire. Si L. Di Maio échouait, alors le Président pourrait soit programmer de nouvelles élections, soit (comme son prédécesseur Giorgio Napolitano) penser à un gouvernement d’experts. Nous nous attendons donc à ce que la politique italienne revienne sur le devant de la scène après les élections européennes.
• En Allemagne, les élections européennes se déroulent dans un contexte plus large de période de transition de l'ère Angela Merkel. Elles pourraient accélérer le départ de Merkel et la fin de la Grande Coalition. Les sondages suggèrent que le parti CDU/CSU obtiendra 30% des voix, en baisse de cinq points par rapport à 2014, tandis que les sociaux-démocrates (SPD) seraient les plus grands perdants avec seulement 16% des voix (contre 27% en 2014). Le SPD serait alors sous pression pour mettre fin à la coalition à la fin de 2019, après sa conférence de parti. Une performance plus faible, alliée à des élections régionales de Brême, bastion du SPD le jour même des élections européennes, pourraient conduire le SPD à se retirer plus tôt. Nous nous basons sur une prolongation de la Grande Coalition jusqu'à fin 2019, mais nous n'excluons pas la tenue d'élections anticipées en 2020.
• En France, les élections européennes seront le premier test électoral pour Macron, et pourraient ainsi influencer le rythme des réformes. Les sondages indiquent qu’En Marche et le Rassemblement National sont au coude à coude, avec environ 22% des voix. Pour le Président Macron, affaibli par le mouvement des Gilets Jaunes, il faudrait avant tout retrouver une dynamique positive et commencer la seconde partie de son mandat sur de meilleures bases. Une seconde place limiterait potentiellement la volonté et la capacité d’E. Macron à poursuivre ses réformes, tout en affectant sa crédibilité sur la scène européenne.
• Au Royaume-Uni, les élections européennes s'inscrivent dans le contexte plus large de l'incertitude politique créée par le Brexit. Les sondages suggèrent que le nouveau parti Brexit fera une entrée remarquée. Toutefois, dans le même temps, le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui était fortement représenté en 2014, semble sur le point de perdre la plupart de ses sièges. Pendant ce temps, les partis centristes et pro-UE, y compris les libéraux démocrates, le nouveau parti Change UK et le parti des Verts pourraient gagner un certain nombre de sièges. La principale conséquence sera probablement une perte importante de sièges pour le Parti conservateur au pouvoir, en augmentant de fait la pression sur la Première Ministre Theresa May pour qu'elle démissionne - ce que nous considérons comme probable au cours du mois à venir - augmentant ainsi les chances d'élections générales plus larges. D'une manière plus générale, les sondages au Royaume-Uni suggèrent que l'électorat est réparti à peu près également entre les partisans d’un Brexit dur, les partisans du compromis et ceux voulant rester au sein de l’UE. Une division qui renforce l'impasse politique dans laquelle se trouve le Royaume-Uni.
L’impact sur la poursuite de la réforme de l'UE
La fragmentation politique et le populisme n'aideront pas à faire progresser le programme de réformes de l'UE. Toutefois, cela serait, selon nous, une erreur de blâmer le Parlement européen.
L’absence de volonté de poursuivre les réformes trouve sa cause dans le Conseil Européen, qui manque d’une majorité pour conduire ces réformes. Le manque de coordination du couple franco-allemand est flagrant, les divergences de vision étant ouvertement mentionnées par la chancelière A. Merkel. Plus précisément, Annegret Kramp-Karrenbauer, dirigeante de la CDU de centre droit allemand, a rejeté des aspects essentiels du projet européen d’E. Macron, tels que la mutualisation de la dette, la sécurité sociale européenne et le salaire minimum européen. Cette absence de consensus au niveau du Conseil Européen limite considérablement les perspectives de réformes.
Le Parlement Européen n’étant pas aux commandes, le résultat des élections européennes ne devrait pas avoir d’effet significatif sur le processus d'intégration européenne.
L’impact sur les nominations aux plus hautes fonctions européennes
Les élections européennes lancent le début des principales nominations au niveau de l'UE. Au cours de l'été/automne 2019, les quatre postes les plus importants en Europe deviendront vacants : les présidences du Conseil, de la Commission, de la BCE et du Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Ces postes ne sont pas choisis indépendamment les uns des autres, la nomination de la Commission ayant lieu en premier, aura automatiquement un impact sur les autres.
Trois facteurs seront pris en compte : la nationalité, la politique et le sexe, compliquant de fait ce jeu de chaises musicales. Par exemple, sur la base des derniers sondages et en supposant que le processus "Spitzenkandidat" soit respecté, le candidat allemand de centre droit du PPE Manfred Weber deviendrait le prochain président de la Commission. Cela augmenterait les chances d'un candidat français ou d'un candidat choisi par la France, d’arriver à la présidence de la BCE. Inversement, si le processus du "Spitzenkandidat" est abandonné, en raison d'une mauvaise performance des partis traditionnels, ou d'une forte performance du centre ou de nouveaux partis, y compris populistes, alors nous pensons que les chances de candidats compromis au poste de président de la BCE, tels que les finlandais Rehn ou Liikanen, sont plus élevées.
A ce stade, il ne semble pas y avoir de consensus sur les nominations aux postes les plus élevés de l'UE, avec un large éventail de scénarios possibles. Nous devrions y voir plus clair d'ici le sommet des 20 et 21 juin, au cours duquel les chefs d'État devraient désigner un candidat à la présidence de la Commission européenne.
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