La prise en compte de la perte de biodiversité, prochaine étape pour les portefeuilles obligataires
Par Bruno Bamberger, senior solutions strategist chez AXA IM
Gérer les risques, avoir un impact positif et respecter les réglementations sont trois raisons pour lesquelles les investisseurs obligataires prennent en compte la biodiversité dans leurs portefeuilles.
Outre les risques liés à la perte de biodiversité, l'intérêt croissant pour l'investissement à impact et la réglementation rendent nécessaire l'intégration du thème de la biodiversité dans les portefeuilles obligataires institutionnels.
Les investisseurs commencent à mesurer leur impact et à réfléchir à la manière d'adapter leurs portefeuilles. Dans le même temps, les risques liés à la perte de biodiversité deviennent de plus en plus manifestes. Les entreprises qui n'abordent pas ces risques de manière proactive et qui n'adoptent pas des modèles d'entreprise plus durables et respectueux de la nature pourraient, selon nous, être confrontées à des coûts plus élevés ou à des revenus plus faibles, ce qui réduirait leur capacité à rembourser leur dette dans le futur.
Parallèlement, le groupe de travail TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures) devrait publier en septembre prochain ses recommandations complètes pour une gestion des risques liés à la biodiversité et un cadre de disclosure. Comme pour les informations relatives au climat, l'adoption de ces recommandations pourrait rapidement se traduire par une obligation de reporting sur la biodiversité, ce qui nécessiterait de facto une meilleure compréhension du sujet de la part de tous les investisseurs.
Les investisseurs doivent prendre en considération deux types de risques liés à la biodiversité :
- Les risques physiques liés à la dégradation des écosystèmes et à l'épuisement des ressources naturelles, qui peuvent créer des pressions importantes sur les chaînes d'approvisionnement et les processus de fabrication des émetteurs ;
- Les risques de transition liés aux efforts déployés au niveau mondial pour résoudre le sujet, notamment les nouvelles technologies, l'évolution de la réglementation et la modification des habitudes de consommation, voire les boycotts et les litiges.
Les interactions entre ces deux catégories de risques liés à la nature pourraient, à terme, déboucher sur un risque systémique lié à la nature, avec des conséquences potentielles sur les économies mondiales.
Dans cette optique, il est nécessaire de procéder par étape pour intégrer la biodiversité dans les portefeuilles obligataires.
1. Exploiter les données disponibles
Bien qu'à leurs balbutiements, la disponibilité, la qualité et la couverture des données sur les risques liés à la nature dont disposent les investisseurs et les gestionnaires s'améliorent. Cela leur permet de mieux identifier et de gérer de manière appropriée les impacts, les dépendances, les risques et les opportunités liés à la nature.
Nous exploitons des données telles que l'empreinte biodiversité des entreprises (Corporate Biodiversity Footprint -CBF) d'Iceberg Data Lab pour fournir une vision holistique des classes d'actifs obligataires, comme l’univers du crédit investment grade mondial, et comparer les principaux moteurs de la perte de biodiversité, tels que les émissions de GES, la pollution de l'air, l'utilisation des sols et la pollution de l'eau.
De cette manière, les données permettent de plus en plus aux investisseurs de concentrer leur attention sur les impacts les plus néfastes lorsqu'ils cherchent à minimiser leur empreinte globale et à développer des solutions positives. Elles peuvent également mettre en évidence les disparités d'impact entre les différents secteurs, ce qui permet aux investisseurs de repérer les émetteurs dont l'empreinte est la plus importante au sein de leur portefeuille.
2. Intégrer la biodiversité dans les processus d'investissement
Après avoir identifié ces « points sensibles » du portefeuille, qu’il s’agisse de secteurs ou d’émetteurs spécifiques, les investisseurs peuvent alors entamer le processus de réalignement de leur portefeuille pour refléter les meilleures pratiques en matière d'intégration de la biodiversité.
Il convient d’abord de réduire l’exposition des portefeuilles aux émetteurs avec une forte empreinte biodiversité et peu d’ambition pour la diminuer, au profit des entreprises issues du même secteur qui ont identifié les risques et les impacts et qui les gèrent (les réduisent) et les contrôlent. Une analyse détaillée au niveau de l'émetteur est essentielle pour évaluer l'ambition et la crédibilité des objectifs de l'entreprise.
Les investisseurs obligataires peuvent également utiliser le levier de la maturité des obligations pour atténuer les risques liés à la biodiversité au sein de leurs portefeuilles. Par exemple, les émetteurs fortement dépendants des ressources naturelles ou dont l'empreinte sur la biodiversité est élevée pourraient être investis uniquement sur des échéances plus courtes et n'être réinvestis à l'échéance que s'ils ont suffisamment atténué ces risques ou réduit leur empreinte.
3. Engager avec les secteurs et les émetteurs clés
L’instauration d'un dialogue constructif et l'encouragement actif des émetteurs à modifier leurs pratiques sont des méthodes essentielles pour favoriser un changement positif. En outre, le fait de les aider à prendre conscience des implications de la chaîne d'approvisionnement et des risques pour les consommateurs liés à la perte de biodiversité (et à s'y adapter) peut également les aider à éviter toute surprise susceptible de nuire à leur capacité de remboursement de la dette.
Comme pour le changement climatique, l'engagement sur le sujet de la perte de biodiversité peut s’étendre du dialogue individuel avec les entreprises à la participation à des consultations sectorielles ou à des initiatives collaboratives telles que Nature Action 100. En définitive, une action collective mondiale est importante pour obtenir des effets positifs tant au niveau de l'émetteur qu'à l'échelle du système.
Si un émetteur est réticent à modifier ses pratiques, potentiellement par crainte de réduire sa rentabilité à court terme, un cadre d'engagement clair ainsi qu’un processus d'escalade - qui, dans les cas extrêmes, peut même aboutir à un désinvestissement - sont essentiels au suivi et à la mise en œuvre des actions d'engagement.
Il convient toutefois de noter que le désinvestissement peut s'avérer contre-productif car il réduit l'univers d’investissement tout en mettant fin aux échanges avec l’émetteur et au potentiel effet de levier y étant lié. Alors que les institutions financières sont encore en train d'acquérir des connaissances sur le thème de la protection de la biodiversité, une stratégie d'engagement actif nous semble mieux adaptée que le désinvestissement pour s'attaquer efficacement aux risques liés à la nature et pour identifier les opportunités.
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