Edito Mars - Le stress sur le secteur bancaire amplifie le resserrement monétaire
Points clé
• Même si les risques pour la stabilité financière peuvent rapidement s’atténuer, le stress sur le secteur bancaire est susceptible d'exacerber le resserrement des conditions de prêt et donc peser sur l'économie réelle.
• Les banques centrales semblent prêtes à se montrer plus prudentes, mais leur ambition actuelle reste claire : elles ne veulent pas capituler alors que les pressions inflationnistes restent élevées.
• Concernant le sentiment des investisseurs, nous considérons les éléments suivants :
➢ Le cash est roi pour l'instant
➢ Le crédit promet des rendements solides
➢ Le risque de baisse des bénéfices demeure
Les tensions sur le secteur bancaire et les ramifications macroéconomiques
Les banques centrales et les gouvernements ont été très réactifs aux turbulences bancaires provoquées par la faillite de deux banques régionales aux États-Unis, et la reprise en urgence de u Crédit suisse par UBS. Des liquidités (à des conditions généreuses) ont été rapidement fournies. Les décisions de résolution ont également été rapides que ce soit aux États-Unis et en Suisse, à la mesure de l'accélération des mouvements de dépôts, désormais permise par la digitalisation et alimentée par l'accès à des informations instantanées. Cependant, même si les risques pour la stabilité financière sont atténués, il est probablement illusoire de croire que l'économie réelle sera à l'abri d'un changement inévitable dans l'attitude des banques en matière de prêts.
La Réserve fédérale (Fed) a publié les données relatives à l'actif et au passif des grandes et petites banques américaines au 15 mars, offrant ainsi une première quantification de l'impact des turbulences. Comme prévu, les grandes banques ont enregistré un afflux de dépôts (67 milliards d'USD), tandis que les petites banques ont perdu 120mdsUSD. Pourtant, tant les grandes que les petites banques ont adopté un comportement de précaution, empruntant massivement à la Fed pour augmenter leurs liquidités. Le tableau général du système bancaire américain est désormais typique d'un mode de crise. Cette configuration n'est guère propice à une attitude détendue en matière de prêts au secteur non financier.
La migration des dépôts des petites banques vers les grandes ne serait pas neutre d'un point de vue macroéconomique. Les petites banques affichent en général un ratio prêts/dépôts beaucoup plus élevé que leurs grandes concurrentes, et elles jouent un rôle crucial dans un secteur - l'immobilier - qui subit déjà des pressions importantes. Alors que les petites banques ne représentent que 30% du total des actifs bancaires aux États-Unis, elles sont à l'origine de 70% des prêts dans l’immobilier commercial.
Il est probable qu'un retour de bâton réglementaire se profile aux États-Unis, ce qui à moyen terme pourrait également nuire à l'octroi de crédits. En effet, à rebours de l'assouplissement observé sous l'administration Trump, nous nous attendons à ce que des règles plus strictes soient appliquées sur la prise en compte des pertes potentielles dans les ratios de fonds propres. La réduction de l'offre de prêts aux entreprises et aux ménages est un moyen pour les banques de réduire le total de leurs actifs pondérés en fonction des risques, et donc d'augmenter leurs ratios de fonds propres sans lever de nouveaux capitaux, à un moment où les investisseurs exigeraient probablement une forte prime de risque.
L'augmentation générale des coûts de financement des banques – si la prime de risque augmente – serait un autre canal de transmission. Nous constatons une corrélation assez étroite entre les écarts de refinancement des banques et leurs conditions de prêt aux entreprises. La décision des autorités suisses de liquider les obligations Additional Tier 1 (AT1) du Crédit Suisse tout en offrant une certaine protection aux actionnaires n'a pas aidé, même si la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d'Angleterre ont été promptes à réaffirmer l'échelle de séniorité normale.
Les banques sont en outre confrontées à un autre vent contraire : la concurrence des fonds monétaires. Aux États-Unis, l'afflux de dépôts des grandes banques n'a pas entièrement compensé les sorties de fonds des plus petites. Les agents non financiers détournent une part croissante de leurs liquidités vers les fonds monétaires. L'érosion de la base de dépôts du secteur bancaire dans son ensemble ne va pas contribuer à relancer le crédit.
Les banques centrales ne veulent pas modifier leur position
Nous étions déjà préoccupés par le déclin de la dynamique du crédit aux États-Unis et dans la zone euro avant le début des turbulences bancaires. Nous y avons vu le premier signe tangible que le resserrement monétaire avait commencé à faire son chemin dans l'économie. Les tensions bancaires actuelles précipitent et amplifient ces développements. Il s'agit d'une étape douloureuse, mais probablement inévitable, vers la désinflation. C'est pourquoi les banques centrales s'en tiennent pour l'instant fermement au « principe de séparation » et ne sont pas disposées à inverser leur politique. Elles sont prêtes à se montrer plus prudentes, maintenant que les conditions du marché font une partie du travail, mais la direction à suivre reste claire.
La BCE a supprimé toutes mentions sur les futures orientations de sa politique monétaire lors de la réunion du Conseil des gouverneurs de mars, après avoir relevé son taux de 50 points de base. Pourtant, Christine Lagarde a clairement indiqué lors les questions-réponses que les taux devraient encore augmenter (« nous savons que nous avons encore du chemin à parcourir ») si leur scénario économique – établi avant l'apparition des turbulences bancaires – devait se concrétiser. L'inflation est tout simplement encore trop élevée. Après avoir relevé ses taux de 25pdb, la Fed a choisi de maintenir un biais de resserrement explicite, bien que faible, dans la déclaration préparée (« un renforcement supplémentaire de notre politique pourrait être approprié »). L'impact du tumulte dans le secteur bancaire, qui devrait peser sur le resserrement des conditions de crédit, sur l'économie et, en fin de compte, sur l'inflation, a été dûment noté. Mais la phrase de conclusion du communiqué (« le Comité reste très attentif aux risques d'inflation ») a servi à rappeler où se situent les priorités de la banque centrale.
Les investisseurs réagissent avec plus de prudence
Des incertitudes grandissantes imprègnent les perspectives macroéconomiques. Cela a créé une préférence pour les positions en trésorerie sur les marchés financiers, le « cash » est roi. Jusqu'à présent les banques centrales sont restées concentrées sur leur premier objectif, la lutte contre l'inflation. Les taux d'intérêt à court terme sont donc restés élevés, et les actifs sûrs et de maturité courte, comme les bons du Trésor, ont séduit les investisseurs qui ne veulent pas placer leur argent sur des comptes bancaires peu rémunérés et qui craignent de prendre des risques liés au niveau des taux, au crédit ou aux actions. Les flux sont évidents aux États-Unis, où les fonds du marché monétaire profitent de la réduction des dépôts dans les banques, en particulier les petites banques régionales.
Il n'est pas surprenant que les placements en liquidités aient la faveur des marchés financiers. Les rendements des bons du Trésor libellés en dollars ou en euros sont proches des niveaux des taux d'intérêt au jour le jour qui reflètent l'orientation de la politique monétaire. Les courbes de taux sont inversées dans les principales devises, c’est-à-dire que les obligations d'État offrent des rendements de plus en plus faibles au fur et à mesure que l'échéance s'allonge. Les investisseurs en obligations d'État ont enregistré des rendements négatifs en 2022. Bien que les rendements aient été positifs depuis le début de l'année, la volatilité a été élevée et la confiance fragile. Si les inquiétudes récentes concernant le système bancaire et la stabilité financière s'estompent et que les banques centrales maintiennent leur position défensive contre l’inflation, les rendements actuariels des obligations d'État risquent d'inverser une partie de leurs récentes baisses et de générer une nouvelle vague de performances négatives. Au moment de la rédaction de ce rapport, les rendements des obligations d'État de référence à 10 ans se situaient vers le bas de leurs fourchettes de variation connues depuis le mois d'octobre.
Les risques présentés par les obligations d'entreprises ont également augmenté récemment. L'environnement étant devenu plus difficile pour les banques, les conditions générales de crédit sont susceptibles de se resserrer. Ce phénomène est évident depuis un certain temps aux États-Unis, comme le suggère l'enquête mensuelle de la Fed sur les conditions de prêt. Pour les petites banques régionales, le coût du financement est susceptible d'augmenter car elles augmentent les taux d'intérêt pour maintenir les dépôts. Leurs revenus nets d'intérêts pourraient donc s'en trouver amoindris. Par ailleurs le resserrement des conditions de crédit affectera la disponibilité et le coût du financement pour les entreprises. Les petites et moyennes entreprises seront probablement les plus touchées. Des secteurs comme l'immobilier commercial, où la croissance des prêts a été forte au cours des deux dernières années, pourraient également souffrir d'un resserrement du crédit en même temps que des taux d'intérêt plus élevés pourraient affecter la valorisation des actifs.
Nous constatons que les risques sur la croissance ont augmenté à la suite de la crise bancaire, cela des deux côtés de l'Atlantique. Compte tenu de la résilience observée de l’économie américaine ces derniers mois, le changement de situation y est plus brutal. Le ralentissement de la croissance devrait se traduire par de nouvelles révisions à la baisse des bénéfices des entreprises américaines au cours des deux prochains trimestres. Le secteur technologique a déjà vu ses prévisions de bénéfices réduites et devrait être rejoint par les secteurs de la banque et de l'énergie. Selon nous, les actions américaines sont donc vulnérables à une baisse des bénéfices, étant donné que, dans l'ensemble, les niveaux de bénéfices par action restent nettement supérieurs au niveau de croissance à long terme.
Le cash ne sera pas toujours roi
Les obligations d'État, le crédit et les actions ont des rendements intrinsèquement plus volatils que les liquidités. Les investisseurs s'interrogent sur les perspectives d'inflation à court terme, l'orientation de la politique monétaire et les perspectives de croissance. Cela signifie que les attentes en matière de volatilité resteront élevées. Toutefois, l'attrait relatif des actifs assimilables à des liquidités pourrait ne pas se révéler si durable. Tout d'abord, les banques centrales pourraient, dans certaines conditions, renoncer à de nouvelles hausses de taux. Il est plus probable qu'à moyen terme, un cycle de réduction des taux s'enclenche, entraînant une baisse des taux d'intérêt au comptant. Il est sans doute prématuré pour les marchés d'envisager des baisses de taux de la part de la Fed avant le milieu de l'année, mais si une récession se matérialise aux États-Unis au second semestre 2023, il sera logique de baisser les taux d'intérêt l'année prochaine, surtout si le recul de l'inflation devient plus significatif. Les rendements des liquidités peuvent être attrayants aujourd'hui, mais une stratégie de réinvestissement sur un ou trois mois pourrait entraîner une baisse rapide des rendements cumulés sur une période d'un à deux ans.
Les investisseurs dans les actifs plus risqués sont confrontés à des facteurs macroéconomiques négatifs pour les rendements attendus, alors que les valorisations suggèrent des rendements positifs à moyen terme. Cette situation est particulièrement évidente sur les marchés obligataires, où les primes de risque de crédit (les spreads) se sont de nouveau tendues récemment, ce qui se traduit par des rendements supérieurs aux taux sans risque à court terme. L'écart entre les rendements des obligations d'entreprise et des obligations d'État se rapproche des niveaux qui marquent généralement un pic cyclique. C'est le cas sur les marchés du dollar américain et de l'euro, ainsi que sur les obligations à haut rendement et les obligations de qualité supérieure.
Bien entendu, le crédit suscite des inquiétudes. La dette bancaire a été mise sous pression récemment et les dépréciations sont susceptibles d'augmenter. Cependant, les emprunteurs présentent en général des fondamentaux relativement solides, du moins en comparaison avec les cycles de crédit précédents. Sur l'ensemble du cycle, les rendements actuels de la dette des entreprises seront supérieurs à ceux des liquidités, bénéficiant à la fois de la prime de risque de crédit et de la force de rappel liée au retour au pair des cours, alors que ceux-ci sont encore marqués par les performances négatives de l’an dernier.
Choisir le bon moment – le « market timing » – est toujours difficile. Les perspectives fondamentales sont d'autant plus floues que l'économie mondiale passe d'un choc inflationniste à un choc potentiel de croissance ou de stabilité financière. C'est à ce moment-là que l'horizon temporel joue un rôle clé dans la décision d'investissement. L'histoire suggère que les niveaux d'entrée actuels sur les marchés du crédit aux entreprises récompenseront les investisseurs qui prennent un risque de crédit à moyen terme. Un argument similaire peut être avancé pour les actions. En dehors des États-Unis, les marchés d'actions se négocient sur des multiples de bénéfices prospectifs à 12 mois qui se situent en dessous de leurs moyennes à 10 ans. Le ralentissement de la croissance pourrait également avoir un impact sur les prévisions de bénéfices au niveau mondial, mais en Asie et en Europe, la baisse ne semble pas aussi évidente qu'aux États-Unis. Selon les estimations du consensus pour l'univers des actions du S&P500, les 218USD par action attendus cette année sont encore très proches du niveau record des bénéfices enregistrés au cours de la période de 12 mois se terminant en septembre 2022.
À l'avenir, les arguments en faveur des actions pourraient se renforcer. La croissance du PIB mondial devrait être plus ferme en 2024 et 2025, ce qui permettra une certaine reprise des bénéfices dans des secteurs tels que la technologie et l'industrie. Les dépenses d'investissement stimulées par la politique industrielle de l'administration américaine seront également un support, tout comme les politiques concurrentielles visant à attirer les investissements des autres pays. Les performances récentes des valeurs de croissance de qualité reflètent en partie ces attentes. En outre, la valeur relative des actions par rapport aux obligations devrait s'améliorer avec le retournement du cycle des taux d'intérêt. Toutefois, il reste encore du chemin à parcourir. L'écart implicite entre le rendement actuel des bénéfices et le taux sans risque à 10 ans aux États-Unis n'est que de 2,3%. Il s'agit d'une maigre compensation pour le risque lié aux bénéfices et elle semble faible par rapport aux presque 6% de l'univers Euro Stoxx et aux plus de 7,5% observés au Japon.
Les mesures prises aux États-Unis et en Europe pour rassurer les investisseurs sur la stabilité des banques devraient soutenir la confiance. Tout signe de la part des banques centrales indiquant que la plus récente hausse des taux était la dernière, ou du moins proche de la dernière, serait également positif pour le sentiment. Les marchés obligataires seraient les bénéficiaires les plus évidents d'une baisse des taux mondiaux. En ce qui concerne les actions, tout dépend de la taille de l’impact sur la croissance des derniers évènements.
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