Comment reconstruire un monde meilleur ?
En octobre, l’économiste Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel d’économie, a livré aux clients d’AXA IM son point de vue concernant le processus de reprise post COVID-19, l’avenir de l’économie mondiale et celui des marchés financiers. Voici un résumé de ses propos.
La pandémie de coronavirus restera sans doute l’un des événements marquants du siècle. Je suis convaincu que nous finirons par trouver un vaccin, mais nul ne sait dans combien de temps. Et je ne pense pas qu’une réelle reprise économique soit possible tant que le virus ne sera pas maîtrisé.
Le point de vue qui prévalait lors de la mise en place des premières mesures de confinement était qu’il y aurait une brève interruption, suivie d’une reprise en V.
Aujourd’hui, après plus de six mois, il est clair que la maladie est loin d’être maîtrisée en Europe et aux États-Unis. En revanche, dans d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande, Taiwan, le Vietnam et la Corée du Sud, elle a été endiguée. Ces disparités risquent fort d’influer sur la géopolitique future.
Le virus s’attaque aux personnes à la santé fragile. Aux États-Unis, les systèmes de protection sociale et de santé étant déficients, davantage de personnes sont menacées. Il n’est donc pas surprenant que les États-Unis figurent parmi les pays les plus durement touchés. Les congés maladie rémunérés par l’employeur ne sont pas obligatoires et nombreux sont les salariés qui vivent au jour le jour. Si vous tombez malade et que vous pouvez continuer à travailler, vous le faites, ce qui a pour effet de propager la maladie.
Économie vs marchés
Face à la bonne santé du marché boursier américain, certains se demandent comment de telles performances sont possibles. La réponse est simple. Tout d’abord, ce marché ne représente qu’une fraction de l’activité économique. Les gains considérables que l’on a pu observer concernent essentiellement de grandes entreprises technologiques, mais les secteurs de l’économie qui ont été dévastés sont constitués de petites entreprises, lesquelles ne sont pas cotées en bourse.
Deuxièmement, l’une des caractéristiques de tout ralentissement économique majeur est l’abaissement des taux d’intérêt par les autorités monétaires. Dans ce contexte, les investisseurs vont naturellement placer leur argent là où les rendements sont potentiellement plus élevés, c’est-à-dire dans les actions plutôt que dans les obligations.
Dans ce cas précis, le volume colossal de liquidités injectées par la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine – dont une partie va se retrouver sur le marché – a orienté les bourses à la hausse. Le soutien sans précédent des pouvoirs publics est l’un des aspects marquants de ce ralentissement économique. Je pense que ce choix était le bon. Ne pas maintenir le dynamisme de l’économie aurait eu des conséquences à long terme.
Le problème, c’est qu’aux États-Unis, ces politiques n’ont pas été élaborées avec beaucoup de soin. En conséquence, les autorités ne sont pas parvenues à maîtriser le taux de chômage et à maintenir le lien entre les travailleurs et leur emploi, ce qui est d’autant plus important aux États-Unis que les travailleurs dépendent de l’assurance maladie fournie par leur employeur.
L’Europe s’en est nettement mieux tirée, grâce à des dispositifs de chômage partiel bien conçus dans des pays comme le Danemark et la France, ainsi que dans d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande où des dispositifs similaires ont été mis en place.
Comment le monde peut-il se reconstruire en mieux ?
J’aime employer la métaphore suivante : nous avons construit un point vers le monde post-pandémie grâce à ces dépenses et, à ce jour, seule la moitié du pont a été construite. Aujourd’hui, certains estiment que les déficits sont trop importants, que l’inflation risque d’être trop élevée et qu’il faut arrêter la construction. Je pense que ce serait une erreur. Bâtir la moitié d’un pont ne mène nulle part, il faut l’achever. Tout arrêter maintenant serait un désastre monumental, avec des effets à long terme.
Il s’agit donc de reconstruire, mais en mieux. La pandémie a révélé voire amplifié un certain nombre de problèmes majeurs, tels que les inégalités et le manque de résilience des chaînes d’approvisionnement mondiales. En reconstruisant mieux, l’objectif est de créer une société plus égalitaire, une économie davantage fondée sur la connaissance et une économie verte abandonnant les combustibles fossiles au profit de sources durables. Les dirigeants du monde entier se sont engagés en faveur de la neutralité carbone, mais il n’est pas certain que les États pourront continuer à dépenser de telles sommes après la pandémie.
Cela signifie que l’argent dépensé aujourd’hui doit contribuer à la reprise post-pandémie, mais aussi à la refonte de l’économie. Cette vision a été une composante importante de la stratégie européenne. En revanche, elle ne s’est jusqu’à présent pas inscrite dans la stratégie américaine.
La pandémie a précipité de nombreux changements déjà en marche. La transformation numérique du monde du travail et du commerce restera une réalité lorsque le virus sera maîtrisé. J’ai certes hâte de retrouver ma classe, mais je pense que certains de nos cours continueront d’être dispensés en ligne.
Je pense qu’il y aura un certain ancrage territorial, voire une relocalisation des chaînes d’approvisionnement mondiales, mais cela ne résoudra pas les problèmes des régions désindustrialisées des États-Unis et d’Europe. Le manque de résilience est lié au manque de clairvoyance des marchés : on fabrique des automobiles sans roue de secours, ce qui permet d’économiser un peu d’argent au départ, mais les conséquences sont lourdes en cas de crevaison.
Le point positif, c’est que cette pandémie a mis en lumière la nécessité absolue de coopérer ensemble, ce qui suppose un renforcement du multilatéralisme.
À quelles difficultés une reprise durable risque-t-elle de se heurter ?
Il se peut toutefois que les marchés émergents et les pays en développement se retrouvent confrontés à une crise de la dette. Sans une restructuration de la dette, je pense que l’économie mondiale peinera à revenir en force.
Le soutien aux marchés émergents doit figurer au cœur des préoccupations. Ces pays n’ont pas les ressources nécessaires pour stimuler leur économie comme le font les pays développés.
Le défi consistera à trouver le moyen de coopérer pour résoudre des problèmes comme le changement climatique et le contrôle des pandémies dans un monde où règnent des rivalités et de profondes différences de valeurs et de systèmes économiques et politiques.
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