Le bitcoin : un véritable actif ou un objet de pure spéculation ?
- À première vue, le bitcoin affiche deux atouts principaux : il fournit un véhicule pour le trading spéculatif et un mécanisme de change alternatif aux devises traditionnelles
- Compte tenu de sa volatilité, de sa liquidité et des difficultés à évaluer sa valeur intrinsèque, nous ne voyons pas comment l’intégrer au cœur de nos portefeuilles
- La technologie « blockchain » s’avère prometteuse, comme en témoigne son adoption croissante dans notre économie. Elle ouvre la voie à la création de monnaies numériques « officielles »
- Le « mining » de bitcoins génère une consommation d’électricité considérable et est incompatible avec le positionnement des investisseurs responsables
Le bitcoin fait à nouveau les gros titres alors que plusieurs grandes entreprises ont manifesté leur intérêt pour la crypto-monnaie. Certains clients d’AXA IM ont dès lors souhaité connaître notre avis sur cette évolution. Voici donc notre point de vue sur la situation actuelle.
Soutenue par les déclarations de plusieurs grandes entreprises, dont Mastercard et Tesla, la valeur du bitcoin a dépassé pour la première fois le seuil des 50 000 dollars à la mi-février.1
Le constructeur de véhicules électriques a annoncé dans un document réglementaire qu’il avait acheté pour 1,5 milliard de dollars de bitcoins et comptait commencer à accepter la crypto-monnaie comme moyen de paiement, toutefois « de manière limitée dans un premier temps ». Selon Tesla, cet achat visait à « accroître la diversification et à maximiser le rendement de ses liquidités ».2
Économistes et investisseurs ne parviennent pas à s’entendre sur la nature du bitcoin : s’agit-il d’un actif, d’une monnaie, ou d’encore autre chose ? Le bitcoin ne correspond pas aux critères classiques d’une monnaie et ne dégage aucun flux de trésorerie susceptible de justifier sa valorisation, à l’instar d’une action, d’une obligation ou d’un actif immobilier. Son principal intérêt réside dans la mise à disposition d’un véhicule à des fins de spéculation et un mécanisme de paiement alternatif au système monétaire traditionnel.
Sa valeur fondamentale est donc sujette à controverse, même si ses partisans soutiennent que le bitcoin peut jouer le rôle de réserve de valeur et de moyen d’échange. En effet, grâce à la technologie des registres distribués – la « blockchain » –, les bitcoins et autres crypto-monnaies permettent d’acheter et de vendre des biens et services, ainsi que d’autres « monnaies ».
Si les détenteurs de bitcoins ont naturellement applaudi la récente flambée des cours, tout investisseur qui envisage de se diversifier dans cet actif doit faire preuve d’une grande prudence. En effet, le bitcoin affiche une volatilité extrêmement élevée. À titre d’exemple, son prix s’est envolé de 1 000 à 20 000 dollars en 2017-2018, avant de retomber rapidement à 3 000 dollars.3
Qu’est-ce que le bitcoin ?
Fondamentalement, le bitcoin est une monnaie numérique. Il a été créé à la fin des années 2000, par une ou plusieurs personnes, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto.
Un registre sécurisé numériquement, qui prend la forme d’une base de données informatique, enregistre chaque pièce de monnaie virtuelle en circulation. Ce registre circule par le biais d’une « blockchain » (chaîne de blocs). Autrement dit, chaque détenteur de bitcoins possède un enregistrement du bloc d’un autre individu. Il convient de noter que les crypto-actifs contournent les principaux intermédiaires financiers, à savoir les banques.
Les bitcoins ne sont pas frappés comme les monnaies traditionnelles, mais extraits numériquement. En d’autres termes, des spécialistes recherchent de nouveaux bitcoins en ligne en résolvant des énigmes informatiques complexes. La solution la plus simple consiste à acheter des bitcoins déjà en circulation par l’intermédiaire d’un courtier spécialisé.
Parmi les 21 millions de bitcoins susceptibles d’être extraits, quelque 18,6 millions sont en circulation à ce jour.4
Selon un article du Financial Times rédigé par Nouriel Roubini, professeur d’économie à la Stern School of Business (NYU), « les déclarations présentant le bitcoin comme le nouvel ‘or numérique’ alimentent une bulle des crypto-monnaies ». Nouriel Roubini ne considère le bitcoin ni comme une protection contre les risques extrêmes, ni comme une réserve de valeur stable.5
Gabriel Makhlouf, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, traite également le bitcoin avec scepticisme, comparant l’effervescence qui entoure la première crypto-monnaie mondiale à l’engouement des Pays-Bas pour les tulipes au XVIIe siècle – qui s’est soldé par un effondrement des cours.6
La question environnementale se pose également : le bitcoin est tout sauf écologique. L’intensité carbone liée à son extraction – et donc son impact sur l’environnement – s’avère pour le moins élevée. Diverses études ont critiqué les externalités négatives de l’extraction du bitcoin, mettant notamment en question l’aspect durable de ces pratiques.
Actuellement, 900 nouveaux bitcoins sont créés toutes les 24 heures. L’extraction de ces bitcoins, qui nécessite de nombreux ordinateurs, requiert une quantité d’énergie considérable.7 Selon un calcul effectué par l’université de Cambridge, les bitcoins consomment chaque année plus d’électricité que l’ensemble de l’Argentine. Les chercheurs ont montré que cette crypto-monnaie consommait environ 121,36 térawattheures (TWh) par an, soit l’alimentation de l’ensemble des bouilloires du Royaume-Uni pendant 27 ans. 8
Ci-dessous, cinq experts d’AXA IM donnent leur avis sur cette crypto-monnaie…
Chris Iggo, Chief Investment Officer, Core Investments
Il me semble difficile d’intégrer le bitcoin dans un cadre d’investissement traditionnel. Il n’existe pas de modèle de valorisation, car cette crypto-monnaie ne génère aucun flux de trésorerie. En outre, contrairement aux autres monnaies traditionnelles, il n’y a aucun lien avec les conditions économiques ou les politiques budgétaires et monétaires nationales. Le bitcoin ne verse ni coupon ni dividende, et il n’existe aucun mécanisme de couverture de sa valeur.
Les flux vers le bitcoin sont motivés par la spéculation sur les prix ou un certain besoin de contourner les institutions traditionnelles des systèmes de paiement – peut-être, dans certains cas, pour des raisons qui ne sont pas légales. Certains de ces flux reposent sur des préoccupations concernant la pérennité des monnaies et des systèmes de paiement existants. Selon moi, il vaut mieux faire confiance à un système monétaire et bancaire existant depuis plusieurs siècles et régi par la loi, qu’à une monnaie numérique récente n’offrant que peu de garanties traditionnelles à son détenteur.
Si la technologie est en mesure de confirmer toutes les transactions qui ont lieu sur la « blockchain », le bitcoin ne repose sur aucune base juridique, ce qui limitera son utilisation dans les activités bancaires traditionnelles comme l’emprunt et le prêt. Étant donné le manque de garanties sur sa stabilité future et son impact environnemental, je considère que le bitcoin ne répond pas aux exigences d’un investisseur responsable.
Gilles Moëc, Chef économiste du Groupe AXA, Head of Research
Le bitcoin est traité par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) américaine comme une matière première, et c’est probablement la bonne référence. De même que pour le pétrole ou les métaux précieux, le volume total de bitcoins est limité. Cela signifie que si la demande reste inchangée, son prix devrait augmenter continuellement. Or, les matières premières dont l’offre n’est pas infinie ont généralement une utilisation non financière.
L’or peut être utilisé pour les bijoux et le pétrole sert à alimenter les véhicules, ce qui – si les goûts et la technologie ne changent pas – assure une demande minimale pour ces produits et garantit que leur prix ne chutera pas à zéro.
Quelle utilisation offre le bitcoin ? Fondamentalement, c’est un système de paiement, en concurrence avec d’autres systèmes similaires. Il n’existe donc pas de demande minimale structurelle pour le bitcoin. Son prix peut dès lors chuter jusqu’à zéro. La volatilité du bitcoin traduit sans doute les préoccupations des investisseurs quant à la qualité des monnaies traditionnelles. Ces inquiétudes sont liées à une création monétaire jugée excessive dans le cadre d’une politique monétaire non conventionnelle, ou au refus de voir certains gouvernements utiliser leur monnaie comme moyen de pression, par exemple par le biais de sanctions. Or, présenter le bitcoin comme une véritable monnaie alternative est selon moi trompeur.
Il existe au moins une matière première à offre limitée qui est utilisée depuis longtemps comme monnaie : l’or (voire l’argent). La raison pour laquelle le monde a finalement renoncé à l’or comme point d’ancrage du système monétaire explique précisément pourquoi le bitcoin ne peut pas être utilisé en toute sécurité comme monnaie de référence. Le système de l’étalon-or a échoué parce que les banques centrales disposant d’importantes réserves d’or n’étaient pas obligées d’en prêter une partie aux pays débiteurs.
La liquidité trop restreinte du système a ainsi contribué à des crises financières majeures. Plus récemment, en mars 2020, les banques centrales ont mis en évidence l’origine de leur rôle central en période d’incertitude massive : elles sont en mesure de créer des liquidités sans limite. En ce qui concerne le bitcoin, le problème n’est pas tant l’absence de « générateur », capable de réguler la liquidité, que la perspective de pénurie programmée. Par définition, sa liquidité est vouée à décliner.
Vincent Vinatier, Gérant FinTech et valeurs financières, Framlington Equities
De manière générale, nous ne sommes pas très positifs sur les crypto-monnaies. Je ne considère pas le bitcoin comme un actif dans lequel on peut investir : il ne génère pas de flux de trésorerie, ne possède pas de valeur résiduelle, n’a aucune valeur d’usage et s’avère bien trop volatil pour être utilisé comme moyen de paiement. Selon nous, il s’agit d’un actif spéculatif qui pourrait valoir aussi bien 10 dollars que 10 millions de dollars. Fondamentalement, nous pensons qu’une grande partie de l’intérêt du public pour le bitcoin est due à ses performances récentes et que son adoption par certains acteurs industriels est spéculative.
L’idée que le bitcoin n’est pas corrélé à d’autres actifs est erronée : il est fortement corrélé au secteur de la technologie. Cependant, la hausse de l’inflation et le redressement des taux d’intérêt offriront probablement aux investisseurs d’autres sources de rendements attrayants, de sorte que l’appétit pour le bitcoin et les autres crypto-monnaies devrait diminuer.
Nous sommes plus positifs en ce qui concerne la technologie « blockchain », qui recèle plusieurs applications prometteuses, telles que le trading de devises. Nous pensons également que les monnaies numériques « officielles » vont faire leur apparition dans les années à venir – la Banque centrale européenne, la Réserve fédérale et la Banque populaire de Chine, entre autres, travaillent déjà sur ce thème. Ces monnaies seront toutefois des « stablecoins », autrement dit des monnaies garanties par des actifs physiques, ce qui les distingue du bitcoin.
Christophe Herpet, Responsable mondial AXA Fixed Income et Buy & Maintain
Il existe une distinction entre la « monnaie », l’actif qui est échangé et le « mécanisme d’échange » – le processus par lequel un actif est transféré. Le bitcoin ne constitue pas un nouveau type de monnaie, mais un nouveau type de mécanisme d’échange, susceptible de prendre en charge diverses formes de monnaie et divers types d’actifs. La possibilité d’effectuer des échanges électroniques sans tiers de confiance – une caractéristique déterminante des bitcoins – est radicalement nouvelle.
Contrairement aux monnaies traditionnelles, où les agrégats monétaires connaissent une croissance exponentielle – grâce à la politique de la banque centrale –, le bitcoin est limité à 21 millions d’unités. Cela lui confère un rôle de réserve de valeur par rapport aux principales monnaies, dont la valeur ne cesse de s’éroder en termes réels en raison des politiques monétaires. Selon moi, la volatilité de cette crypto-monnaie devrait diminuer à mesure que l’on s’approche du nombre maximum d’unités.
Dans l’intervalle, le prix du bitcoin pourrait varier significativement, car nul ne connaît la valeur de ce mécanisme d’échange. Alors que le fondateur de Tesla, Elon Musk, prévoit d’accepter le bitcoin comme moyen de paiement pour ses voitures, les analystes estiment que l’arrivée d’entreprises et de sociétés d’investissement sur le marché du bitcoin, dans le sillage des petits investisseurs, représente une évolution majeure.
Paul Flavier, Responsable mondial de Rosenberg Equities
Il est légitime de privilégier une monnaie stable, sûre et liquide pour servir de réserve de valeur et de moyen de paiement – deux des principaux attributs d’une monnaie. Si cette situation est susceptible d’évoluer, dans ses premières années, le bitcoin semblait souffrir principalement d’instabilité, mais aussi d’une liquidité insuffisante.
Cette crypto-monnaie a certes fait la fortune de certains investisseurs, mais sa nature extrêmement volatile est à l’opposé de ce que l’on attend – ou souhaite – d’une monnaie. On observe cependant une sympathie indéniable de l’économie numérique pour des comportements spéculatifs condamnés dans l’ancien monde. Le second problème concerne le manque de sécurité : le piratage informatique et l’opacité des plateformes d’échange rendent le risque de tout perdre bien réel. Tandis qu’on est loin du niveau de garantie offert par la Federal Deposit Insurance Corporation, en termes de lutte contre le blanchiment d’argent, la traçabilité des bitcoins constitue véritablement une opportunité perdue.
Le bitcoin pourrait-il devenir une nouvelle classe d’actifs ?
À l’avenir, il est possible que le bitcoin acquière certaines caractéristiques d’une monnaie ou d’un actif traditionnel. La route pourrait cependant être longue, incertaine et semée d’embûches. Si les institutions financières s’intéressent davantage à la crypto-monnaie, sa volatilité, son existence en marge des dispositions juridiques traditionnelles – ainsi que son absence d’enracinement dans une activité économique fondamentale – constituent des freins indéniables. Du côté des investisseurs responsables à long terme, la principale préoccupation est peut-être son impact environnemental indirect. Alors que la communauté des investisseurs s’efforce de décarboner les portefeuilles, peut-on affirmer que l’offre et l’échange de crypto-monnaies contribueront à l’objectif « zéro émission nette » ? Nous sommes loin d’en être convaincus pour le moment.
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