Pourquoi les banques centrales veulent-elles introduire une monnaie digitale ?
Les monnaies digitales pourraient bientôt voir le jour. Alors que la Covid-19 a accéléré les paiements électroniques, les projets de création de monnaies numériques de banque centrale (MNBC) se multiplient. Ces monnaies sont profondément différentes des cryptomonnaies de type Bitcoin. Une MNBC est émise par une banque centrale et est garantie par sa crédibilité et la loi elle-même, comme les billets de banque que nous utilisons au quotidien. Les cryptomonnaies en revanche sont des instruments qui n’appartiennent à personne, qui ne sont adossés à aucun actif réel et qui ne disposent d’aucune structure de gouvernance précise.
L’intérêt que les banques centrales portent aux monnaies numériques n’est pas purement théorique. Les tests déjà effectués en Chine avec des particuliers ont donné d’excellents résultats1 . La Banque centrale européenne (BCE) se penche sérieusement sur la question, au point de non seulement produire des études et des publications à ce sujet, mais aussi de mener des enquêtes afin d’évaluer la perception qu’ont les citoyens et les entreprises de l’« euro numérique ». Même la Banque des règlements internationaux (l’institution qui assure la coordination entre les banques centrales) s’est aventurée sur ce terrain pour tenter d’harmoniser les divers projets.
Avantages potentiels... et obstacles à surmonter
Mais pourquoi une telle hâte à créer une monnaie numérique ? Cela est en partie dû au risque de l’émergence d’un « stablecoin », une cryptomonnaie privé donc, dont la valeur est indexée sur un point de référence externe, comme le Diem de Facebook (anciennement la Libra), et d’autre part à l’intérêt des banques centrales à conserver le contrôle du secteur financier et des systèmes de paiement.
La BCE a fait valoir que les avantages d’un euro numérique seraient considérables, de la complémentarité avec les billets de banque à l’efficacité des paiements, en passant par la contribution au processus de numérisation de l’économie et la lutte contre l’argent non déclaré. Disposer d’un instrument contrôlé par la banque centrale, et non, par exemple, par des particuliers résidant en dehors de la zone euro apporte une certaine sécurité. La BCE pourrait également permettre aux citoyens de déposer directement leurs euros numériques auprès de la banque centrale, sans recourir à l’intermédiation des établissements de crédit habituels. Ce serait là une véritable révolution.
Il reste cependant de nombreuses questions à régler. S’il devenait possible de déposer des fonds directement auprès de la BCE, les banques privées pourraient se retrouver en difficulté en matière de financement. En Italie par exemple, les établissements de crédit ne répercutent pas les taux négatifs sur leurs clients car les dépôts leur permettent de lever des fonds, mais que se passerait-il si les Italiens décidaient de placer leur épargne directement sur les comptes de la BCE, jugés plus fiables ? Les banques pourraient faire face à de sérieux problèmes de liquidité.
Que se passerait-il en situation de panique ? La crainte de voir les banques privées faire défaut risquerait de contraindre les épargnants à transférer subitement leur argent auprès de la banque centrale, ce qui ferait perdre aux établissements de crédit leur base de dépôts. Face à une BCE dotée d’une monnaie numérique et ouverte aux particuliers, les banques traditionnelles pourraient être amenées à s’orienter davantage vers les activités de banque d’investissement et à s’écarter du modèle économique actuel de type « guichet unique ».
La Chine en pole position parmi les principales économies
Fin 2020, les Bahamas ont lancé leur propre monnaie numérique nationale, ce qui constitue une première mondiale. Version numérique du dollar bahaméen, le « Sand Dollar » vise en partie à pallier les limites des infrastructures sur les centaines d’îles qui composent l’archipel des Bahamas2 .
Parmi les grandes économies, Pékin domine la course. Alors que la Réserve fédérale américaine continue d’en examiner le potentiel, la Banque populaire de Chine (BPC) sera probablement la première grande banque à lancer sa propre monnaie numérique. Il est vrai que la monnaie digitale est déjà une réalité en Chine, les transactions réalisées sur WeChat Pay et Alipay (divisions financières de WeChat et Alibaba) ayant dépassé le volume mondial de celles effectuées via Visa et Mastercard réunies3 . En outre, le paysage bancaire chinois comprend aussi bien des banques privées que publiques, de sorte qu’il y ait une plus grande fluidité entre la BPC et les établissements de crédit.
Être le premier à introduire une monnaie numérique pourrait présenter un avantage considérable. En tant que précurseur, la Chine pourrait en effet ériger le renminbi comme une alternative au dollar américain en tant que monnaie de réserve.
En tout état de cause, Pékin représente aujourd’hui environ 20 % de l’économie mondiale alors que le yuan ne pèse que 2,1 % en tant que monnaie de réserve, contre 63 % pour le dollar (cf. graphique ci-dessous). La numérisation de la monnaie pourrait mener à une « yuanisation » des échanges internationaux. Ce processus pourrait devenir une arme monétaire redoutable contre le billet vert, en particulier dans la zone de libre-échange asiatique qui vient d’être consolidée par le Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership, RCEP), un accord commercial colossal qui, outre la Chine et les dix États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, réunit également le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
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Données au quatrième trimestre 2019.
Les tests effectués par Pékin ces derniers mois ont été concluants, mais certaines problématiques techniques restent encore à résoudre. Après tout, gérer une MNBC destinée à un public de plus d’un milliard de citoyens et d’entreprises n’est pas chose aisée. Cela étant, le Dragon semble bien décidé à franchir le premier la ligne d’arrivée et à conquérir de nouveaux territoires au sein du système monétaire mondial.
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