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Investment Institute
Macroéconomie

Edito mai - L’anxiété inflationniste


Points clés

  • Bien qu'il n'y ait pas encore de preuve irréfutable, la probabilité d'une véritable hausse autonome de la trajectoire de l'inflation augmente clairement aux États-Unis.
  • Même si les prix à la consommation s'accélèrent temporairement en Europe également, le risque qu'ils se transforment en une évolution plus permanente est plus faible dans cette région. Toutefois, la Banque Centrale Européenne devra probablement faire face à une plus grande contagion du marché obligataire américain.
  • La trajectoire de l'inflation reste dépendante des progrès réalisés sur le front de la pandémie. Le dernier flux de données est mitigé.
  • La vigueur des matières premières en début de cycle renforce les craintes d'inflation.
  • Les performances des actions et des obligations à haut rendement et à duration courte sont généralement positives lorsque les prix des matières premières sont en hausse.

Lire dans le bruit

L’inflation américaine du mois d’avril a été un choc, avec les indices d’ensemble comme sous-jacents surprenant à la hausse. Ce à quoi nous nous attendions se matérialise : les prix à la consommation ont augmenté significativement, mais distinguer le signal du bruit sera extrêmement difficile pendant quelques mois (au moins). Pourtant, bien qu’il n’y ait pas encore de preuves qui permettraient d’affirmer avec certitude que l’inflation augmente de manière durable aux Etats-Unis, il est tout aussi évident pour nous qu’une analyse rationnelle des informations disponibles ferait pencher la distribution de probabilité dans cette direction.

Commençons par le “bruit”. La majeure partie de l’accélération de l’inflation sous-jacente peut être attribuée à quelques composantes qui représentent moins de 5% de l’indice. Oui, des goulots d’étranglement poussent les prix à la hausse – et de beaucoup – dans des secteurs tels que l’automobile, mais ces problèmes d’approvisionnement (par exemple la pénurie mondiale de puces électroniques) ne reflètent pas une surchauffe endogène (du moins pas encore). Les observateurs les plus inquiets de l’inflation attirent l’attention sur l’évolution des salaires, peut-être stimulée par la pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, le bruit statistique est là aussi abondant. En effet, le salaire horaire moyen a augmenté de 0,7% sur le mois d’avril, mais les effets de composition ont été larges, avec une plus forte proportion de cadres, ce qui suggère un certain biais en faveur des employés mieux rémunérés également.

Néanmoins, ce qui devrait être un choc transitoire peut se transformer en quelque chose de plus inquiétant si les anticipations se déplacent vers le haut. C’est pourquoi nous devons nous concentrer sur les mesures de l’inflation basées sur des enquêtes. Elles ne peuvent pas nous dire grand-chose sur ce que pourrait être l’inflation au-delà de six mois, mais elles ont été de bons indicateurs des accélérations à court terme des prix à la consommation, au-delà de la volatilité des données. Leur message est clair : l’anxiété quant à l’évolution de l’inflation continue de croître. Les anticipations d’inflation à cinq ans ont atteint un nouveau pic en mai dans l’enquête de l’université du Michigan, à 3.1%, le plus haut niveau depuis 2011.

La majorité des membres du Comité de politique monétaire de la Réserve Fédérale (FOMC), autour de Jay Powell, semble unis dans leur message de patience. Ils ont des arguments solides à faire valoir, notamment la possibilité que les États-Unis traversent une période de ralentissement une fois que les mesures de relance d'urgence de Biden se seront estompées, surtout si le programme d'investissement en cours de négociation avec les républicains est moins important que prévu. En revanche, d’ici là, les « véritables » hausses de salaires – i.e., au-delà des effets mécaniques de la réouverture – pourraient avoir commencé à déclencher une réelle inflation par les coûts, alors que sur le plan législatif, nous gardons un œil sur les projets tels que le PRO Act (Protecting the Right to Organize), qui pourrait renforcer le pouvoir des syndicats dans le secteur privé américain, et les propositions relatives au salaire minimum, qui sont actuellement toujours bloquées au niveau du Sénat. Dans l’intervalle, l’attitude conciliante de la Réserve Fédérale (Fed) et les largesses de l’administration pourraient alimenter les inquiétudes des ménages quant à une inflation galopante, contribuant à une nouvelle extension des anticipations. Bien qu’il soit peu probable que la Fed soit influencée par les derniers développements, elle sera soumise à une forte pression cet été, car la pression sur les prix devrait se poursuivre. Les taux de rendement obligataire devraient se tendre dans cet environnement.

Moins avancée sur la réouverture et en absence d’une relance budgétaire massive, la zone euro est beaucoup moins exposée au risque d’inflation galopante, même si de la même façon des effets de base et des goulots d’étranglement déclencheront une accélération transitoire des prix à la consommation. Il convient également de rappeler que, avant même la pandémie, la Banque Centrale Européenne (BCE) ne s’attendait pas à ce que l’inflation atteigne son objectif à son horizon de prévision. Le point de départ de toute remontée de la trajectoire d’inflation est donc beaucoup plus bas en Europe qu’aux Etats-Unis. Cela conforte ceux qui, au sein du Conseil de la BCE, font maintenant pression pour tolérer explicitement un certain dépassement à l’avenir, ce qui pourrait aider à ancrer de nouveau les anticipations d’inflation vers l’objectif de la banque centrale. Mais il est peu probable que cette question soit abordée avant que la banque centrale ne termine la revue de sa stratégie, en septembre au plus tôt. La question immédiate à résoudre est de comment atténuer toute contagion supplémentaire des Etats-Unis au marché obligataire européen dans les mois à venir. L’accélération du rythme du programme d'achat d'urgence en cas de pandémie (PEPP) n’a pas été concluante jusqu’à présent. Nous notons qu’au moins une maison de premier plan côté vente s’attend désormais à ce que la BCE réduise son rythme d’achat lors de la réunion de juin. Cela serait risqué à notre avis. Une telle décision irait à l’encontre du découplage nécessaire avec les Etats-Unis et pourrait pousser l’euro à la hausse.

Notons que le débat sur la trajectoire d’inflation pourrait devenir sans objet si la vitesse de la réouverture post-pandémie devait être révisée à la baisse. Les progrès en matière de vaccination se poursuivent en Europe, mais nous ne pouvons pas savoir avec certitude si nous n’allons pas rencontrer les mêmes difficultés qu’aux Etats-Unis à couvrir le « dernier kilomètre » alors que la résistance des opposants à la vaccination commence à émerger. Dans ce contexte, des flambées continuent d’apparaître ici et là, obligeant à une reprise des mesures restrictives. Le gouvernement japonais a étendu l’état d’urgence à trois préfectures supplémentaires et une distanciation sociale sévère a été réimposée à Singapour. Au Royaume-Uni, le premier ministre prépare les esprits à l'éventualité d'une révision du calendrier de réouverture, compte tenu du nombre croissant de cas de la "variante indienne" dans le nord-ouest de l'Angleterre. La réouverture mondiale ne se fera pas en ligne droite.

Les frictions de l'offre poussent les prix des matières premières à la hausse

Ce qui se passe sur le marché des matières premières contribue à l’anxiété autour de l’inflation. Les prix de nombreuses matières premières – énergies, métaux industriels et agriculture – ont fortement augmenté cette année. Cela a poussé les prix des intrants manufacturiers à la hausse, comme en témoigne l’augmentation des prix à la production et des composantes de prix des enquêtes auprès des responsables d’achats. De plus, plusieurs compagnies ont fait référence à la hausse des coûts d’intrants dans leurs rapports trimestriels (1T). À ce stade, tout porte à croire que cette augmentation des prix sera absorbée, mais c’est une tendance que les investisseurs et les responsables politiques doivent surveiller de près.

Il est important à ce stade de tenir compte de quelques points généraux. Les hausses des prix des matières premières sont consistantes avec les reprises économiques, particulièrement après un arrêt brusque de l’activité tel que celui observé l’an dernier. Plus que dans les cycles normaux, la demande a été capable de reprendre rapidement sur les mois récents tandis que l’économie mondiale côté offre a été plus contrainte. Le cycle économique typique voit l’inflation des prix des matières premières commencer à s’assouplir à mesure que l’offre répond à des niveaux de demande plus élevés, mais ces pressions sur les prix en début de cycle peuvent persister. La pression de l’offre peut également être observée le long de la chaîne de valeur. Le taux de fret maritime, par exemple, a fortement augmenté en réponse à la reprise des échanges commerciaux, alors que les conteneurs avaient été remisés aux mauvais endroits pendant la crise l’année dernière.

Généralement, les performances des actions et le surplus de la performance du crédit, comparé aux dettes sans risque sur le marché obligataire, sont positivement corrélées avec la hausse des prix des matières premières. Cette relation découle de l'amélioration rapide de la demande finale qui soutient les bénéfices et la capacité des entreprises à absorber des coûts plus élevés au début du cycle. S’il semble y avoir des capacités disponibles sur les marchés du travail, les investisseurs en actions ne devraient pas s’inquiéter de l’érosion des marges. Cependant, dans certains secteurs, ce ne sont pas juste les prix des matériaux, mais les pénuries qui commencent à être un problème pour les compagnies. Les pénuries de semi-conducteurs se sont généralisées, frappant beaucoup de secteurs, notamment l’automobile, ainsi que tout le secteur de la technologie. Aux Etats-Unis, l’essor du secteur de la construction fait également face à des pénuries (et des prix plus élevés) d’intrants de base, tels que le bois. Les performances du secteur de la technologie depuis la publication des résultats du 1T ont été décevantes, reflétant l’inquiétude des investisseurs quant à la perturbation de la production de matériel informatique, affectant les ventes.

En plus des pressions cycliques, l’augmentation de l’investissement dans l’économie verte soutient la forte demande pour les métaux tels que le cuivre, le cobalt et le lithium. Cela nous aide à nous rappeler que le changement vers la production à énergie renouvelable ne signifie pas la fin de l’appauvrissement des ressources naturelles, un élément à prendre en compte pour les investisseurs axés sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). D’une manière générale, les pays qui produisent des matières premières ont fait l’expérience d’une forte performance des marchés actions et des devises, et ces tendances pourraient persister à mesure que l’économie mondiale continue d’émerger.

Une inflation plus élevée est évidente dans toute la chaîne d’approvisionnement à mesure que les économies réouvrent. Mais nous ne sommes qu’au début. La question de savoir s’il s’agit de véritables signes d’inflation à moyen terme ne sera pas tranchée avant un certain temps. Pour le moment, les actifs qui devraient offrir une meilleure performance relative sont les actions au biais cyclique, les obligations à haut rendement et les obligations de duration courte. Nous continuons à avoir quelques inquiétudes concernant le marché du crédit – outre que le fait que les surplus de rendement par rapport aux dettes sans risques sont extrêmement serrés. Le principal danger pour tous les marchés, compte tenu des valorisations actuelles, est que plus les signaux d’alarme concernant l’inflation se multiplient, plus le risque d’affaiblissement de la résolution des banques centrales à faire face à la hausse actuelle des prix s’agrandit. En établissant une feuille de route politique combinant des objectifs macroéconomiques avec une forme de dépendance temporelle, la Fed (et les autres) risque de perdre sa crédibilité à un moment donné si le pic d’inflation se traduit par des anticipations plus élevées et une augmentation plus persistante des niveaux de prix. Étant donné que les rendements du Trésor américain à 10 ans ont atteint 1,78 % il y a quelques semaines, les marchés obligataires ont encore une grande marge de manœuvre pour évaluer un tel scénario. Un nouvel épisode de pentification de la courbe des taux et d’anticipation de la hausse des taux de la Fed semble très probable dans les mois à venir. En conséquence, les actifs de duration courte devraient rester un thème central pour de nombreux investisseurs, tant sur les marchés obligataires que sur les marchés actions.

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