Le secteur de l’énergie est-il en route vers la neutralité carbone ?
L’industrie de l’énergie est au cœur des efforts déployés pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique. Des changements considérables dans la production et la consommation sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone et limiter l’augmentation de la température mondiale à +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) du 18 mai, qui présente une trajectoire potentielle, se révèle donc d’un grand intérêt. Cette analyse complexe et détaillée de la manière dont le monde pourrait évoluer met en évidence l’immense défi qui attend les entreprises du secteur de l’énergie et leurs investisseurs.
Le rapport part du principe que les résultats souhaités en termes de neutralité carbone et d’augmentation des températures de +1,5 °C doivent effectivement être atteints d’ici 2050, puis revient à 2020 pour évaluer les actions à mettre en œuvre pour arriver à ce résultat : cela concerne l’offre et la demande d’énergie, les technologies, la tarification du carbone, la justice sociale, le rôle des gouvernements et celui des investisseurs. Tous ces points sont liés entre eux et se révèlent interdépendants. Si certains changements ne se produisent pas, il faudra en faire plus ailleurs. L’AIE a ainsi répertorié 400 jalons qui sous-tendent la trajectoire vers la neutralité carbone.
Le Dr Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, insiste sur le fait qu’il s’agit d’une voie, et non de la voie à suivre. Il rejoint d’autres rapports et évaluations, tels que celui publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat en 2018, et doit être considéré comme un tout, les conclusions individuelles ne pouvant être sorties du contexte général. Il ne concerne pas simplement le pétrole et le gaz, mais l’ensemble de l’écosystème énergétique. Selon nous, les points les plus saillants et les plus marquants sont les suivants :
- La vitesse est un facteur essentiel et la transition doit s’accélérer dès aujourd’hui, des progrès significatifs étant nécessaires d’ici 2030 pour atteindre l’objectif relatif à l’augmentation de la température
- Il s’agit autant d’une question d’offre que de demande, le déclin brutal des combustibles fossiles au cours des prochaines décennies devant s’accompagner du déploiement de technologies de substitution
- Il s’agit surtout de développer davantage d’énergies renouvelables (principalement l’électricité), d’électrifier tout ce qui peut l’être, de créer une économie de l’hydrogène, de mettre en avant l’efficacité et de capturer les émissions qui ne peuvent être atténuées
- C’est une démarche mondiale. Les gouvernements doivent être impliqués, tout un chacun devra changer de nombreuses habitudes, des investissements de plusieurs milliers de milliards de dollars seront nécessaires
- L’une des principales conclusions de l’AIE est qu’il conviendrait désormais de ne plus développer de nouveaux champs pétrolifères et gaziers. Cette idée est peut-être celle qui a suscité les débats les plus agités, mais paradoxalement, l’appel explicite à un doublement de la capacité de production d’électricité nucléaire a été relativement bien accueilli
Le scénario ZEN (Zéro émission nette en 2050) de l’AIE
Pour se réaliser, nous pensons que le scénario de l’AIE devrait d’abord surmonter de nombreux obstacles. Comme toute proposition de parcours vers la neutralité carbone et le +1,5 °C, celle-ci nécessitera un soutien politique et sociétal à la fois durable et mondial, ainsi que la réallocation et le déploiement à grande échelle des capitaux. En outre, le rapport de l’AIE montre clairement combien il est essentiel que tout se fasse simultanément, compte tenu des nombreuses interdépendances.
Par exemple, le fait que le coût du carbone soit élevé est une nécessité absolue pour déployer de nombreuses technologies ; la croissance de l’hydrogène est liée à la croissance et à la baisse du coût de l’électricité renouvelable ; la baisse de la demande d’essence est liée à la percée des véhicules électriques, elle-même liée au développement des infrastructures de recharge et à l’amélioration des technologies de batteries.
En effet, l’une des conclusions cruciales de l’AIE est que 46 % des technologies nécessaires – dans les batteries et bien d’autres domaines – ne sont tout simplement pas encore prêtes et doivent être développées, industrialisées, voire simplement inventées.
Il se pourrait enfin que l’obstacle le plus difficile à franchir réside dans l’omniprésence considérable des combustibles fossiles dans nos économies. Au printemps 2020, alors que l’économie mondiale connaissait un coup d’arrêt avec l’irruption de la pandémie de COVID-19, la demande de pétrole n’a chuté « que » de 25 %. Même pendant ce qui ressemblait fort à un arrêt complet pour beaucoup d’entre nous, les turbines continuaient à tourner, les chaudières à fonctionner, les émissions à s’échapper.
Pour AXA IM et pour tous les investisseurs, le rapport de l’AIE met en lumière à la fois des risques et des opportunités. De nombreux modèles économiques seront remis en question et pourraient devenir obsolètes. Les entreprises et les pays devront repenser leur rôle dans l’écosystème énergétique, et tous n’en sortiront pas indemnes. Les règles et les lois se combineront à la pression sociale pour influencer ces entités et les obliger à agir. Cependant, tout n’est pas aussi sombre qu’il n’y paraît. Les opportunités abondent déjà et d’autres sont encore à venir sur la voie de la neutralité carbone, qu’il s’agisse de nouvelles technologies propres ou de modèles économiques inédits. Les investisseurs doivent se frayer un chemin prudent dans ce champ de mines s’ils veulent dégager des performances tout en apportant des solutions durables en matière de climat.
Alors que les investisseurs luttent avec ces questions fondamentales, le rapport de l’AIE contribue à illustrer le défi que représente la mise en place de cette trajectoire vers la neutralité carbone et le +1,5 °C. Nous pouvons nous représenter ces 400 jalons comme autant de murs, disposés les uns après les autres et comportant chacun une seule porte. Nous – investisseurs, gouvernements et consommateurs – devons aligner ces centaines de portes pour faire florès de l’autre côté.
Selon toute vraisemblance, le scénario détaillé de l’AIE ne se réalisera pas. Il existe de nombreuses variables, et certaines étapes sont plus difficiles à atteindre que d’autres. Selon nous, l’objectif de réduire la consommation de pétrole de plus de 20 % d’ici à 2030 sera difficile à atteindre, et la suggestion de renforcer la capacité nucléaire dans le monde occidental rencontrera probablement une résistance importante. D’autres étapes, comme le développement de l’électricité renouvelable, s’appuieront sur la dynamique existante et bénéficieront d’un parcours plus facile.
AXA IM s’est engagé à réduire le profil carbone de ses portefeuilles d’investissement pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ou avant. Si le rapport de l’AIE ne définira pas à lui seul notre politique, ses conclusions et la voie tracée seront intégrées dans nos analyses et contribueront à notre réflexion. Nous espérons que de nombreuses autres organisations feront de même.
Tout ne saurait rester statique, de nouvelles tendances et de nouveaux impératifs apparaîtront, mais les leviers et les outils – ainsi que les défis – nécessaires pour atteindre la neutralité carbone et maintenir les températures sous contrôle sont tous répertoriés et pris en compte. Le rapport a été qualifié d’irréaliste, de provocateur et même de fantaisiste par certains, mais d’ambitieux et de réalisable par d’autres. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un moment décisif, où l’industrie qui se trouve au cœur du problème se montre particulièrement attentive – ce seul état de fait devrait contribuer à créer un véritable élan vers la neutralité carbone.
L’AIE a établi un scénario complexe et exigeant qui souligne avec une grande clarté à quel point la transition énergétique sera spectaculaire et porteuse de bouleversements. Le document montre que le capital social, financier et politique doit être mobilisé dès aujourd’hui et pour les décennies à venir. Les investisseurs ont beaucoup à prendre en considération – l’appel à l’arrêt de la construction de nouveaux champs pétrolifères et gaziers pouvant sembler le point le plus important – mais chacune de ces 400 étapes représente un nouveau défi pour toutes les parties prenantes et pour nos modes de vie.
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