L’impact de la guerre en Ukraine devrait accroître les efforts pour atteindre la neutralité carbone
Publié seulement quelques mois après la COP26, le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’est guère réjouissant. Cet organe des Nations Unies a averti que le monde risque de connaître « plusieurs catastrophes climatiques qui ne pourront être évitées lors des 20 prochaines années », et ce, même si le réchauffement climatique reste limité à 1,5 °C.1
Il a ajouté que même le fait de dépasser provisoirement ce niveau aurait « de lourdes conséquences supplémentaires, dont certaines seraient irréversibles. Les risques pour la société augmenteront, y compris pour les infrastructures et les agglomérations côtières de basse altitude.»
Cette analyse est un rappel opportun de l’urgence derrière les efforts visant à atteindre la neutralité carbone, à un moment où la pandémie de Covid-19, dans un premier temps, et maintenant la guerre en Ukraine ont bouleversé les priorités géopolitiques et de politique monétaire.
Bien que le GIEC mette en avant le fait que les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations sont déjà à l’origine d’une mortalité de masse chez certaines espèces et exposent des millions de personnes à une insécurité alimentaire et hydrique extrême, les discussions portent actuellement sur la façon de soutenir durablement une reprise post-Covid-19, tout en tenant compte de l’impact de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Les prix de l’énergie augmentaient déjà à mesure que les économies rouvraient, poussant l’inflation à des niveaux inédits depuis plusieurs dizaines d’années, ce qui a entraîné un resserrement particulièrement prononcé des attentes en matière de taux d’intérêt en Europe et aux États-Unis. La guerre a toutefois suscité de nouvelles craintes à l’égard de la sécurité et de l’approvisionnement énergétique.
De nouveaux défis
Pour la première fois en sept ans, l’escalade des tensions politiques en conflit militaire a été à l’origine d’une correction des marchés mondiaux des actions et de l’envolée des prix du pétrole au-delà des 100 dollars le baril. Cet acte d’agression a déjà un énorme coût sur le plan humain, les pays occidentaux n’ayant d’autre choix que d’imposer de lourdes sanctions à l’encontre des dirigeants russes, mais également de certaines banques et de quelques oligarques. L’impact économique dans son ensemble sera toutefois ressenti de façon bien plus large.
Le rôle de la Russie en tant que principal fournisseur d’énergie est un élément crucial de ce conflit. À l’heure actuelle, l’Union européenne (UE) importe 90 % de sa consommation de gaz, dont environ 45 % sont fournis par la Russie. La Russie représente aussi environ 25 % des importations de pétrole et 45 % de celles de charbon.2
Par ailleurs, les investissements dans la production d’électricité à base de combustibles fossiles ont diminué, alors que les capitaux sont désormais alloués à des modèles énergétiques plus durables. Un argument subsiste pour dire que cela limite la capacité du secteur de l’énergie à répondre à une hausse soudaine de la demande, alors que les sources d’énergie renouvelables ne sont pas encore en mesure de couvrir une éventuelle insuffisance et que des technologies comme l’énergie éolienne ou solaire ne permettent pas d’accroître rapidement les capacités de production.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a affirmé que l’Europe devait agir rapidement et qu’elle devait se préparer à faire face à d’importantes incertitudes quant à l’approvisionnement en gaz russe l’hiver prochain.3 La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a adopté un ton similaire, encourageant vivement à ce que l’UE ne soit plus dépendante du pétrole, du charbon et du gaz russes et déclarant qu’elle ne pouvait pas être tributaire d’un fournisseur qui la menace explicitement.4
Une transition qui ne tient qu’à un fil
Les actions du président russe Vladimir Poutine ont mis le monde au bord d’un gouffre en matière de transition énergétique. Des réductions volontaires ou forcées de la consommation d’énergie provenant de Russie feront basculer la demande vers d’autres sources et fournisseurs d’énergie, ce qui continuera de soutenir les prix élevés à court terme. Cette volonté de trouver la réponse la plus adéquate possible à l’augmentation des prix et des pénuries semble susceptible d’accroître l’utilisation de charbon, de pétrole et de gaz autres que ceux produits par la Russie à un niveau incompatible avec une baisse des émissions et la poursuite de l’objectif de neutralité carbone.
Le développement de capacités dans les sources d’énergie renouvelables ou alternatives, comme le nucléaire, prend du temps et ne permettra pas de résoudre la crise actuelle des prix de l’énergie. De nombreuses personnalités politiques appellent déjà à la réouverture de centrales de charbon ayant été démantelées afin d’essayer de contourner la dépendance de l’UE à la Russie en ce qui concerne son approvisionnement en énergie. Au Royaume-Uni, la reprise de la fracturation hydraulique (ou « fracking »), auparavant utilisée dans le cadre de l’extraction du gaz de schiste, est demandée par certains afin de stimuler la production et de baisser les prix du carburant.5
Ce sentiment d’urgence est compréhensible, voire même nécessaire au vu de la gravité de la situation, mais les conséquences pour l’environnement pourraient être tout simplement catastrophiques si les actions de la Russie venaient à forcer la réouverture de centrales alimentées par des combustibles fossiles, ce qui menacerait alors le rythme et la qualité de notre transition vers une économie mondiale durable. Nous pensons que l’argumentaire en faveur de la transition énergétique n’a jamais été aussi fort et que chaque proposition individuelle, qui sert à repousser l’abandon des combustibles fossiles, devrait être étudiée avec la plus grande rigueur.
Prendre des raccourcis aujourd’hui ne nous aidera probablement pas demain. Une étude réalisée au Royaume-Uni a montré que les factures énergétiques au début de cette année étaient plus chères de près de 2,5 milliards de livres sterling qu’elles ne l’auraient été si un certain nombre de politiques favorables au climat n’avaient pas été abandonnées lors des dix dernières années.6 Des raccourcis ne doivent donc pas être pris. Alors que notre dépendance aux combustibles fossiles n’a jamais été aussi chère et dangereuse, là n’est pas le moment de la renforcer.
C’est pourquoi l’Europe doit s’émanciper des combustibles fossiles russes. Ursula von der Leyen a appelé à prendre des mesures d’urgence pour limiter l’impact de la hausse des prix de l’énergie, diversifier l’approvisionnement en gaz et accélérer la transition vers une énergie propre.7 La Commission européenne a proposé un plan visant à atteindre tous ces objectifs et prévoit que l’Europe ne dépende plus des combustibles fossiles russes bien avant 2030. Appelée REPowerEU, la stratégie cherchera à diversifier l’approvisionnement en gaz, à accélérer l’introduction de gaz renouvelables et à remplacer le gaz dans le chauffage et la production d’électricité. L’UE estime qu’elle peut réduire sa demande en gaz russe de deux tiers d’ici la fin de l’année.8
Les prochaines mesures à prendre
La période actuelle pourrait être le moment idéal pour accélérer la transition dee façon à protéger les pays – et les investisseurs – contre d’éventuelles sources de tensions similaires à l’avenir. Le monde reste trop dépendant des combustibles fossiles pour réduire de façon significative les émissions de dioxyde de carbone (CO2) à court terme. Les prix élevés actuels pour les sources d’énergie à forte intensité carbone devraient davantage contribuer à la transition en faveur des sources d’énergie renouvelables à un moment où celles-ci bénéficient d’un repli de la courbe des coûts à long terme en raison des avancées technologiques. Nous devons toutefois être conscients du fait que les événements récents auront des conséquences à court terme.
Les émissions de CO2 seront probablement supérieures aux estimations de l’année dernière ou d’il y a deux ans, car, au vu du contexte actuel, la transition en faveur des sources d’énergie renouvelables devrait être plus difficile. Cela devrait repousser le pic de la courbe des émissions qui, à son tour, se traduirait par une augmentation des investissements publics et privés dans l’énergie verte et les technologies qui y sont liées pour compenser. L’objectif final serait d’observer une baisse bien plus prononcée de la courbe des émissions, qui permettrait d’avoir une sécurité énergétique plus forte. L’hydrogène et le nucléaire pourraient en tirer parti, à l’instar de l’énergie solaire et éolienne, et des efforts pourraient être consentis pour accroître l’efficacité énergétique.
Un choc énergétique s’inscrivant dans la durée, et suralimenté par la guerre en Ukraine, a remis sur le devant de la scène les questions de l’urgence et des implications sociales de la sécurité énergétique. Les combustibles fossiles ont été à l’origine de problèmes considérables sur le plan politique au fil des années et la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis d’une Russie agressive ne sera pas le dernier. Le changement climatique constitue lui aussi une menace géopolitique fondamentale, alors que son impact pourrait mettre en péril notre mode de vie. Nous ne pouvons lutter contre le premier sans tenir absolument compte de ce dernier. Si nous ne parvenons pas à réaliser la transition vers une économie à faible émission de CO2, il n’y aura pas de croissance économique durable, et notre avenir sera compromis.
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