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Vues de marché

Edito Mai - Le pic est en vue…mais c’est un pic à deux têtes


Points clé

  • Les banques centrales se demandent si le resserrement des politiques opéré jusqu'à présent est suffisant pour rétablir la stabilité des prix.
  • Pour la Fed et la BCE, cela semble les placer sur une trajectoire divergente – la Fed a probablement atteint un sommet et la BCE a encore du chemin à faire.
  • La dynamique d'inflation explique en grande partie cette divergence. Aux Etats-Unis, les signes de décélération de l'inflation sous-jacente et de la croissance des salaires se multiplient. En zone euro, l'inflation sous-jacente reste proche de son maximum et la croissance des salaires est élevée.
  • Les performances technologiques prennent le relais après une année marquée par l'énergie et le pétrole.
  • La chaîne de valeur de l'intelligence artificielle (IA) stimule les opportunités d'investissement.

La BCE continuera seule

Les banques centrales ont manifesté une certaine frustration face à l'absence apparente de réaction de l'économie au resserrement de leur politique. Cependant, les preuves s'accumulent maintenant que la transmission est belle et bien à l’oeuvre. Aux Etats-Unis et en zone euro, les récentes enquêtes sur le comportement des banques ont fait état d'un resserrement significatif des conditions du crédit – et ce avant les récentes turbulences bancaires autour des banques régionales américaines et du Crédit suisse. Mais ce qui est peut-être plus intéressant, c'est que la dernière série d'enquêtes reflète une forte baisse de la demande de crédit de la part des entreprises. Cela suggère que la hausse des taux d'intérêt affecte désormais les comportements en dehors de la sphère financière et touche l'économie réelle.

La question essentielle est de savoir dans quelle mesure les banques centrales peuvent être certaines que ce changement de comportement sera suffisamment rapide pour freiner l'inflation avant qu'elle n’affecte durablement les anticipations d’inflation. Actuellement, il semble y avoir une différence d'appréciation entre la Réserve fédérale (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE).

La Fed, après avoir relevé son taux directeur de 25 points de base (pdb) en mai, a laissé entendre qu'elle ferait une pause. La BCE a procédé au même resserrement supplémentaire, mais a également signalé qu'elle était encline à poursuivre, déclarant que les conditions monétaires n'étaient pas encore « suffisamment restrictives ».

Cette différenciation reflète, dans une certaine mesure, les dynamiques d’inflation. Aux Etats-Unis, les signes de désinflation deviennent plus tangibles au-delà de l'impact mécanique de la baisse des coûts énergétiques, avec en particulier la composante cruciale « services hors loyers » de l'indice des prix à la consommation qui ralentit de manière significative. Plus en amont dans la chaîne, les prix à la production hors éléments volatils vont également dans la bonne direction. Dans la zone euro, bien que l'inflation sous-jacente ait perdu 10pdb en glissement annuel en avril, l'amélioration semble encore fragile et trop déterminée par le comportement de petites composantes idiosyncrasiques (par exemple, les « séjours organisés » en Allemagne). Peut-être plus fondamentalement, alors qu'aux Etats-Unis, malgré un marché du travail encore solide, les salaires ont cessé d'accélérer, la BCE se prépare à de nouvelles pressions sous-jacentes sur les coûts, car dans certains pays, comme l'Allemagne, les négociations salariales laissent présager une accélération très importante dans le courant de l'année et à nouveau au début de l'année 2024. En outre, du point de vue de l'équilibre des pouvoirs au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, nous pensons qu'il est important que tous les gouverneurs de l'ancienne « zone D-Mark » – Autriche, Belgique, Pays-Bas – déjà plutôt « hawkish » de manière générale, soient confrontés à une inflation particulièrement forte dans leurs pays.

Au-delà de ces différences, nous pensons également que la Fed est prête à adopter une approche « prospective », comptant sur l'effet retardé de son resserrement accumulé pour faire baisser l'inflation sans qu'il soit nécessaire de prendre d'autres mesures, tandis que la BCE semble être guidée par une approche « empirique » et souhaite voir un déclin important et soutenu de l'inflation sous-jacente avant d'arrêter.

Bien sûr, il ne faut pas exagérer la « divergence » entre la Fed et la BCE. La communication de la Fed maintient un « biais de resserrement », avec une balance des risques fermement orientée vers de nouvelles hausses de taux si nécessaire. Pourtant, alors que notre scénario de base prévoit une pause de la BCE après une dernière hausse de 25pdb en juillet, nous voyons un risque important qu'elle agisse à nouveau en septembre, car nous ne prévoyons qu'une légère décélération de l'inflation sous-jacente cet été, ce qui pourrait accroître les frustrations du Conseil des gouverneurs. Nous pourrions ainsi avoir près de six mois de hausses continues de la part de la BCE, tandis que la Fed ne bougerait pas.

Ce qui nous semble toutefois frappant dans cet environnement – et les prix du marché sont compatibles avec une divergence encore plus profonde, avec des réductions de taux attendues au second semestre aux Etats-Unis – c'est que le taux de change de l'euro a cessé de s'apprécier. Cela peut refléter la conviction que, quelle que soit l'action de la BCE en matière de taux, une récession aux Etats-Unis – le produit retardé de l’effet du resserrement monétaire – aurait des conséquences négatives profondes sur l'économie de la zone euro, déclenchant l'habituelle « fuite vers la sécurité » favorable au dollar américain – malgré le conflit politique actuel autour du plafond de la dette.

L'essor des technologies, mais pas une bulle

Les valeurs technologiques ont été les plus performantes sur le marché américain des actions depuis le début de l'année 2023. Cela contraste fortement avec ce qui s'est passé l'année dernière, lorsque le secteur technologique a connu une baisse marquée des bénéfices et une réduction significative des multiples de valorisation. Les entreprises ont réagi en procédant à des licenciements, craignant qu'un ralentissement général de la croissance économique ne réduise la demande des entreprises en matière de technologie, après le ralentissement postpandémique de la demande sur le marché de la consommation. Pourquoi ce revirement ? L'un des facteurs réside peut-être dans le fait qu'il s'agit d'entreprises réactives, capables de réduire rapidement leurs coûts en licenciant des programmeurs et des développeurs. Un autre facteur pourrait être qu'une grande partie de l'ajustement dans le secteur technologique a pu se produire dans les start-ups et les petites entreprises, ce qui a pu être exacerbé par la réduction du financement par les investisseurs en capital-risque. Les problèmes du secteur bancaire californien vont également dans ce sens. Toutefois, pour les grandes capitalisations, tout se joue sur l'avenir. Les politiques industrielles de l'administration Biden, notamment les lois CHIPS (Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors) et Inflation Reduction Acts, pourraient donner une impulsion durable aux investissements dans la technologie. Le lancement de ChatGPT (Chat Generative Pre-trained Transformer) a également joué un rôle, ouvrant la voie à une infinité d'applications de l'intelligence artificielle (IA) générative, non seulement dans le secteur technologique lui-même, mais aussi dans l'ensemble de l'économie.

Certains s'inquiètent du fait que les performances du marché américain des actions sont fortement concentrées sur les valeurs technologiques à grande capitalisation. En effet, il est assez facile de montrer que toute la performance totale de l'indice S&P 500 en 2023 peut être expliquée par les gains de prix de 10 actions qui représentent ensemble 25% de la capitalisation totale du marché. Parallèlement, la technologie s'est bien comportée sur d'autres marchés. Dans l'univers EuroStoxx, le secteur technologique est le troisième secteur le plus performant cette année, après les secteurs des voyages et des loisirs et des produits de luxe, qui continuent tous deux à bénéficier de la reprise post-COVID des voyages et de la réouverture de la Chine.

La technologie prend le relais de l'énergie

Le fait que le leadership du marché des actions soit passé au secteur technologique, porteur de croissance, au détriment du secteur de l'énergie, qui avait ouvert la voie en 2022, est sans aucun doute un signe positif pour l'économie mondiale. Aux Etats-Unis, les secteurs de l'énergie et des banques ont sous-performé. En effet, il est probable qu'une grande partie des investissements dans la technologie au cours des prochaines années sera directement ou indirectement liée à la transition énergétique (abandon des combustibles fossiles) et, plus généralement, à la poursuite de la numérisation de l'économie mondiale. La croissance des véhicules électroniques, la numérisation des réseaux électriques et le verdissement général des zones urbaines augmentent cumulativement la demande de technologie. Et comme la technologie est plus largement déployée, l'ensemble de la chaîne de valeur en bénéficie, y compris les sous-secteurs tels que le matériel, les semi-conducteurs et les applications de cybersécurité.

La baisse des taux d'intérêt à long terme a également favorisé le secteur technologique. Ces titres sont souvent décrits comme étant de longue durée, avec un profil de bénéfices caractérisé par des taux de croissance élevés. La baisse des rendements obligataires (taux d'actualisation) augmente la valeur actuelle de ces bénéfices. Dans le secteur de l'énergie, les bénéfices sont beaucoup plus immédiats. Les prix mondiaux de l'énergie ont considérablement baissé depuis les sommets atteints immédiatement après l'invasion de l'Ukraine. Les prévisions consensuelles pour les bénéfices par action du secteur de l'énergie du S&P 500 tablent sur des baisses consécutives des bénéfices annuels cette année et en 2024. Les bénéfices du secteur des technologies de l'information devraient connaître une croissance à deux chiffres au cours des deux prochaines années.


La croissance séculaire du secteur technologique peut-elle continuer à stimuler la performance globale du marché des actions ? Nos hypothèses économiques prévoient un ralentissement continu de la croissance au cours des prochains trimestres. L'impulsion donnée par la baisse des rendements obligataires cette année ne devrait pas se répéter, car les baisses « faciles » de l'inflation ont déjà été observées. Des risques externes sont également à prendre en compte, notamment l'éventualité d'une contestation réglementaire de la poursuite de la recherche sur l'intelligence artificielle ou les préoccupations géopolitiques concernant Taïwan. Les valorisations sont, elles aussi, onéreuses. Le secteur technologique du S&P 500, dans son ensemble, se négocie sur la base d'un ratio cours/bénéfice de 30 fois (contre 20 fois pour le marché dans son ensemble). Les prix sont élevés et un ralentissement de la performance du secteur technologique se traduirait par une performance globale de l'indice beaucoup plus faible, compte tenu des défis auxquels sont confrontés les secteurs de l'énergie et de la banque et du risque généralisé lié au ralentissement de la croissance des bénéfices des entreprises.


Le ralentissement de la croissance du PIB réel et nominal devrait peser sur la croissance des revenus des entreprises à l'avenir. Les revenus ont augmenté en phase avec l'inflation et les sociétés à grande capitalisation semblent avoir été mieux à même de gérer les coûts et de maintenir les marges bénéficiaires pendant cette période d'inflation plus élevée. Les marges ont diminué dans les secteurs des entreprises cotées en bourse aux États-Unis et en Europe en 2020, mais se sont fortement redressées en 2021 et 2022. Dans l'ensemble, les grandes entreprises ont été en mesure d'exploiter leur pouvoir de fixation des prix dans une période de hausse générale des prix. Avec le ralentissement de l'inflation, ce facteur sera moins déterminant pour la croissance des bénéfices, surtout si la demande finale est plus faible. Aux Etats-Unis, les marges bénéficiaires déclarées ont commencé à diminuer.


À long terme, la technologie reste un domaine susceptible d'offrir des rendements supérieurs à ceux du marché, comme cela a été le cas au cours de la dernière décennie. L'ensemble de la chaîne de valeur entourant l'IA stimulera les fournisseurs de matériel, les développeurs de logiciels et les entreprises capables d'utiliser l'IA pour stimuler leurs propres activités. Dans le même temps, les thèmes technologiques tels que les logiciels en tant que service et la cybersécurité devraient continuer à se développer, tout comme les applications regroupées sous le thème du métavers. L'évolution des modèles opérationnels et la croissance des entreprises à grande capitalisation ont rendu le secteur plus résistant aux hauts et aux bas du cycle économique. Les Etats-Unis sont susceptibles de montrer la voie, mais il y a des concurrents, notamment la Chine, qui soutiennent la dimension mondiale de la technologie. De plus, comme les gouvernements accélèrent leurs plans pour atteindre leurs objectifs liés au changement climatique, les investissements dans les technologies qui aident à trouver des solutions vont augmenter de manière significative.


Le cycle pose des défis intéressants aux investisseurs en actions. Les performances ont généralement été meilleures que prévu, l'inflation ayant profité aux revenus des entreprises. Le marché obligataire a également joué un rôle, avec des rendements à long terme plus faibles. Mais les arguments à long terme en faveur d'une exposition significative au vaste secteur technologique sont plus forts que jamais, compte tenu de l'énorme potentiel de nouvelles applications dans la transition énergétique, la fourniture de services aux consommateurs et les soins de santé.

Télécharger la présentation de notre Stratégie d’Investissement de mai (en anglais)

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