Edito Septembre - Le dollar règne sans partage
Points clé
- La Fed continuera de monter ses taux tant qu’elle ne verra pas un ralentissement du marché du travail
- L’Europe souffre d’une contagion de la remontée des taux de la Fed, mais la BCE trouve d’autres raisons de remonter rapidement ses taux
- La force de dollar dénote de la meilleure position conjoncturelle et structurelle de l’économie américaine
- Le cercle vicieux de l’inflation, hausses de taux et affaiblissement de la devise menace l’Europe
- Des valorisations bon marché des actions britanniques et européennes pourraient attirer un retour des flux d’investissement
Les banques centrales sur le pied de guerre
Début août, le marché s'attendait encore à un pivot de la Réserve Fédérale (Fed) vers un biais accommodant. En réalité, la banque centrale suit le chemin inverse. Compte tenu de la rumeur d'une possible hausse de 100 points de base (pdb) de ses taux directeurs, le fait que le comité de politique monétaire américain (FOMC) ait à l’unanimité décidé pour une hausse de 75pdb en septembre pourrait être un soulagement, mais cela ne fait que démontrer à quel point les valeurs de référence ont changé en quelques mois en matière de politique monétaire. La Fed indique très clairement qu’il lui reste encore beaucoup à faire pour amener les Fed Funds là où elle pense qu'ils doivent être. Elle indique désormais, via la distribution des prévisions individuelles des membres du FOMC (le « dot plot »), qu'elle prévoit de porter son taux directeur à 4,6% en 2023, contre un précédent pic – dans ses prévisions du mois de juin – à 3,8%. Une grande partie de cette hausse est censée intervenir rapidement. Il y aura donc des pas importants à faire lors des deux réunions restantes de 2022, avec encore plus de 100pdb entre le taux des Fed Funds actuels et les 4,4% de fin d'année suggérés par le « dot plot ». Avec la succession de hausses « à pas de géant », nous savions que le gradualisme s’était effacé, et même le fait d'entrer de plain-pied en territoire restrictif – ce qui devrait en principe les rendre plus prudents – ne semble pas altérer le discours de la Fed. Celle-ci veut voir un ralentissement du marché du travail, et nous voyons comme un corollaire logique l'idée qu'elle continuera probablement à relever les taux jusqu'à ce qu'elle le voie.
La question cruciale est donc la date à laquelle surviendra cette détérioration. Alors que le flux de données très récent a souvent surpris à la hausse, notamment en ce qui concerne l'évolution du marché du travail, nous prévoyons une détérioration significative au quatrième trimestre, en grande partie en raison de l'impact du resserrement des conditions financières, qui ont atteint leurs niveaux les plus restrictifs depuis la grande crise financière de 2008-2009 pour certaines mesures. En conséquence, nous nous attendons à ce que la Fed revienne à des hausses de 50pdb en novembre et en décembre, mais contrairement au consensus du
marché actuel – nous voyons ce taux de 4,25 % atteint à la fin de l'année comme le taux maximal, en dessous du « dot plot » de la Fed. Cependant, nous sommes réservés sur les chances de voir la Fed baisser ses taux en 2023 e comme le marché le prévoit. S'il est difficile pour une banque centrale de continuer à relever ses taux au milieu d'une récession confirmée, il sera tout aussi difficile pour la Fed de baisser la garde si l'inflation est toujours supérieure à 3%, ce qui risque malheureusement d'être le cas jusqu'en fin 2023 malgré la détérioration des conditions économiques, compte tenu de la « rigidité » d'une grande partie de la pression actuelle sur les prix.
L’anticipation par les marchés des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) a rebondi de nouveau après les signaux de resserrement supplémentaire de la part de la Fed. Il y a de bonne chance pour que les participants de marché aient revu l’importance du taux de change dans la fonction de réaction de la BCE, anticipant qu’un resserrement monétaire supplémentaire de la part de la Fed devrait être reproduit de l’autre côté de l’Atlantique pour protéger l’euro, et ainsi limiter les pressions inflationnistes importées. Cela dit, dans ses communications récentes depuis le dernier conseil des gouverneurs de septembre, la BCE a donné nombre d’arguments en faveur d’un resserrement monétaire plus prononcé. Dans un discours datant du 20 septembre, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a réaffirmé une conclusion forte de son message de Sintra selon laquelle la banque centrale serait encline à traiter un choc persistant sur l’approvisionnement en énergie comme un choc d’offre négatif permanent qui requérait des mesures supplémentaires pour assurer que la dynamique de demande reste en ligne avec celle d’offre. Etant donné que la première partie de son discours portait sur la persistance probable du choc sur l’approvisionnement en énergie, nous pensons que la BCE est déjà arrivée à cette conclusion. La Présidente de la BCE a également émis des doutes sur l’impact désinflationniste d’une éventuelle récession à venir – celle-ci n’étant pas dans leur scénario central – étant donné qu’elle tirerait son origine de contraintes d’offre. Enfin, Madame Lagarde a jugé que la politique budgétaire de soutien à l’activité pourrait renforcer les pressions inflationnistes.
L'accumulation de hausses « à pas de géant » crée une impression de « course vers le sommet » entre les banques centrales, avec le risque d'aboutir à un resserrement excessif, dans la mesure où chaque banque centrale ne tient pas suffisamment compte de l'impact sur la demande mondiale de ce que font les autres. Cela ne serait pas dû à une quelconque négligence, mais à la nécessité perçue de minimiser les écarts de taux pour défendre la monnaie et éviter ainsi l'inflation importée.
Le marché des devises vote en faveur du dollar
Il est tentant de penser que ce qui se passe sur le marché des devises reflète l'opinion collective des investisseurs sur la situation macroéconomique d'un pays ou d'une région particulière. En cela, aujourd’hui les marchés « votent » que les Etats-Unis sont dans la meilleure position parmi les grandes économies. Le dollar atteint des sommets inconnus depuis des années par rapport à l'euro, au yen japonais et à la livre sterling. Un examen des facteurs déterminant la valeur dollar suggère qu'il est peu probable que cette situation s'inverse dans un avenir prévisible.
Des degrés variables d'incertitude politique
Toutes les grandes économies sont en proie à l'incertitude politique. Les investisseurs tentent d'évaluer combien de temps il faudra pour pouvoir affirmer que la lutte contre l'inflation est sur le point d'être gagnée et pouvoir observer que des politiques budgétaires sont en mesure d'apporter une certaine compensation à la crise énergétique en cours et aux risques de récession. Ces dernières semaines les marchés sont entrés dans une nouvelle phase, avec l'acceptation de la nécessité de comprimer la demande pour rééquilibrer les chocs d'offre qui ont frappé l'économie mondiale ces trois dernières années. Cela signifie un resserrement monétaire plus important que prévu et une croissance plus faible. Les rendements globaux des obligations, du crédit et des actions risquent de rester négatifs jusqu'à la fin de cette phase. Depuis un certain temps, nous avertissons que les tendances macroéconomiques sont négatives tant pour les obligations que pour les actions. Bien que les valorisations de certains marchés semblent meilleures dans une perspective de long terme, les forces cycliques actuelles, qui poussent les taux à la hausse et les prévisions de bénéfices à la baisse, dominent la formation des prix.
Les Etats-Unis ne sont pas à l'abri de tout cela. La Fed a récemment fait monter les enchères dans sa tentative de faire reculer l'inflation sous-jacente. En revanche, les développements baissiers sur les marchés américains ont évolué parallèlement à un renforcement du dollar. Celui-ci a tendance à mieux se comporter dans un environnement d’aversion au risque. De plus, en termes relatifs, une économie plus dynamique et une moindre sensibilité aux évolutions négatives des marchés de l'énergie stimulent également la demande pour le dollar. Bien que cela soit difficile à mesurer objectivement, les marchés semblent accorder une plus
grande crédibilité à la Fed qu'aux autres banques centrales. Le dynamisme du marché du travail et la solidité des bilans des entreprises et des ménages aux Etats-Unis se reflètent dans la prédominance actuelle de la devise américaine.
Cette situation contraste avec celle de la zone euro, du Royaume-Uni et, dans une certaine mesure, du Japon. Les perspectives de l'Europe restent sensibles à la situation énergétique et à la nécessité permanente de se diversifier en s'éloignant des sources d'énergie russes. Le risque de perturbations de la production et de la consommation cet hiver reste réel, même si l'on peut penser que les forces ukrainiennes prennent le dessus dans le conflit. Les données économiques ont révélé la détérioration de la croissance européenne au cours des dernières semaines. Dans le même temps, l'orientation de la politique de la BCE est déterminée par les « faucons » du conseil des gouverneurs. Après avoir maintenu une politique trop accommodante pendant trop longtemps, le risque est désormais de surenchérir à la hausse sur les taux. Les marchés envisagent un taux directeur à 3%. Les risques de baisse de la croissance se répercutent sur la valeur externe de l'euro, qui est récemment passé sous la barre de la parité avec le dollar, cela pour la première fois depuis sa naissance en tant que monnaie il y a plus de vingt ans. Les perspectives d'inflation dans la zone euro ne sont pas favorisées par une nouvelle faiblesse de la monnaie, et un cercle vicieux risque de se produire si la BCE en tient compte de manière plus centrale dans sa lutte contre les anticipations inflationnistes élevées.
La crise de la livre sterling en reflet de paris budgétaires
Les perspectives pour la livre sterling sont sans doute pires, bien qu'elle soit déjà tombée à un niveau record par rapport au dollar. Les récentes annonces budgétaires du gouvernement britannique ont été interprétées comme contribuant à l'aggravation des tendances en matière de finances publiques, de balance extérieure et d’inégalités de revenus au niveau national. L'énorme coup de pouce fiscal net provenant des réductions d'impôts pourrait pousser la Banque d'Angleterre à relever les taux plus que ce ne serait le cas autrement. L'incertitude politique a également un impact sur la livre, car la nature radicale du paquet budgétaire pourrait compromettre la position du nouveau premier ministre au sein du parti conservateur au pouvoir et les perspectives électorales de ce dernier. Une crise typique de l'inflation et de la livre sterling a tendance à avoir un impact sur la demande intérieure, car les taux élevés sapent le marché de l'immobilier, puis les dépenses de consommation en général. L'indice des biens ménagers et de la construction de maisons individuelles sur le marché des actions britanniques est en baisse de plus de 40 % depuis le début de l'année. Les mauvaises nouvelles sont dans les prix, mais cela pourrait empirer.
Le marché des devises a tendance à surréagir. Il est probable que nous verrons les mouvements actuels se prolonger avant qu'il n'y ait un renversement de la force globale du dollar et du sentiment négatif envers la livre sterling et l'euro. La Banque du Japon est récemment intervenue sur les marchés des changes pour défendre la valeur du yen à la suite de la récente série de hausses de taux aux Etats-Unis et en Europe. S'il n'y a pas de volonté de laisser les taux d'intérêt ou les rendements obligataires augmenter, la faiblesse du yen est susceptible de prévaloir.
Les implications de ces mouvements sur le marché de devises ne sont pas simples. Actuellement le sentiment d’aversion au risque et les flux défensifs afférents dominent. Toutefois, à un moment donné, les valorisations relatives joueront un rôle. Les valorisations des actions britanniques et européennes présentent une décote importante par rapport au marché américain. Si l'on tient compte de l'évolution des devises, elles sont encore moins chères. Le Royaume-Uni a déjà connu une activité importante de fusions et d'acquisitions parmi les entreprises britanniques dont les bénéfices sont en dollars américains. Avec la hausse des rendements des actifs européens et la baisse des devises, les flux devraient finir par devenir positifs.
Pour que cela se produise, nous aurons probablement besoin d'une pause dans le cycle de hausse des taux de la Fed, ce qui sera possible lorsque des signes d'affaiblissement de l'inflation apparaîtront. Cela pourrait réduire l'attrait du dollar à la marge, surtout si l'on considère l'ampleur de son mouvement ces dernières semaines et ce que cela implique en termes de positionnement du marché.
Une action internationale coordonnée pour faire baisser le dollar est un évènement peu probable aujourd’hui, il n'y a pas de nouveaux accords du Plaza à l'horizon. L'attention politique mondiale est dominée par la Russie, les relations entre les Etats-Unis et la Chine, et le changement climatique. Les désalignements des taux de change ne sont pas en haut de la liste des priorités.
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